de Gustave Kervern et Benoît Delépine
France, 1h30, 2008.
Prix du scénario au festival de San Sebastian 2008, sélection officielle au festival de Sundance 2009.
Sortie en France le 24 décembre 2008.
avec Yolande Moreau et Bouli Lanners.
Comédie noire et grinçante où la morale est chahutée par un groupe de femmes ordinaires qui, du jour au lendemain, se retrouvent au chômage pour cause de délocalisation et de prise de profit par les patrons.
Issus des émissions loufoques et satiriques de la télévision française, les deux réalisateurs, Benoît Delépine et Gustave Kervern ont déjà réalisé plusieurs longs métrages ensemble. On se souvient peut être de la noirceur grinçante d’Aaltra ou d’Avida où un univers très particulier est construit avec des personnages hors normes, loin des clichés du politiquement correct. Avec Louise-Michel on reste dans la même veine. Attention au tiret entre ces deux prénoms : s’il y a bien une référence à la célèbre anarchiste, il ne s’agit absolument pas de sa biographie. Louise et Michel sont les deux personnages principaux de cette comédie loufoque, deux êtres en perdition dans un monde moderne impitoyable pour les petits et les pauvres. Leurs corps même dit l’épuisement de la chair face à la tyrannie de l’esthétique unique du mannequin pour magazine sur papier glacé. Leurs rondeurs molles sont une offense au « travailler plus pour gagner plus », un signe d’exclusion. L’incertitude qui plane sur leurs identités dit aussi une confusion entretenue par les exigences du monde moderne, où l’être humain n’est souvent qu’un pion utilisé par des forces occultes, perdant jusqu’à son intimité. Laminés par des années de travail abrutissant ou de chômage – ce qui parfois revient au même en ce qui concerne l’estime de soi – Louise et Michel se rencontrent dans des circonstances rocambolesques, que nous tairons ici pour garder l’effet de surprise de ce film, étonnant de vigueur mordante.
On peut quand même dire que Louise-Michel, écrit et tourné bien avant la crise bancaire qui a secoué l’économie mondiale à la fin de l’été 2008, dénonce les effets catastrophiques de la spéculation sur les travailleurs en bout de chaîne. Que la quête de Louise et de Michel est une revanche pleine de colère des petites gens ordinaires sur les invisibles – et jamais pris – responsables de leurs malheurs quotidiens. Qu’il n’y aura pas de bons sentiments, de grandeur d’âme ou d’héroïsme tout au long de ce film. Mais un humour noir qui parfois soulage de la méchanceté habituelle des systèmes économiques. Un véritable réquisitoire contre la logique des spéculateurs de tous bords, accompagné par une atmosphère inattendue où la poésie, le drame et le cynisme affleurent toujours sous le rire. Un film comme on en voit rarement au cinéma !
Louise-Michel est remarquablement interprété par Yolande Moreau et Bouli Lanners. Leurs physiques si particuliers disent avec une émouvante sincérité l’épuisement pour raisons économiques, la rage silencieuse contre l’injustice sociale. Emportés par une vie sans espérance, les deux personnages tirent le film dans une improbable quête qui s’essouffle un peu dans la seconde partie. Qu’importe, ils démontent les rouages et Louise-Michel reste une absurde et nécessaire dénonciation d’un système économique qui continue d’oublier le facteur humain.
Magali Van Reeth