de Paolo Sorrentino
Italie, 1h50, 2008.
Festival de Cannes 2008, compétition officielle, prix du Jury.
Sortie en France le 31 décembre 2008.
avec Toni Servillo, Anna Bonaiuto, Giulio Bosetti.
Plus opéra rock que sage biographie, ce film part du réel pour livrer au spectateur une époustouflante réflexion sur la quête démentielle du pouvoir.
Jeune réalisateur italien, talentueux et lucide quant à la situation de son pays, Paolo Sorrentino a grandi dans l’ère Giulio Andreotti. Cet homme politique a commencé sa carrière après la deuxième guerre mondiale et n’a pas lâché le pouvoir depuis. 21 fois ministre, 7 fois président du Conseil, il est aujourd’hui sénateur à vie après avoir résisté à la tourmente des années 1990 où l’Italie a commencé à s’opposer à la corruption. Celui qui disait en 1981 : « Dans les romans policiers, on trouve toujours le coupable. Dans la vie, c’est plus rare » a été en procès pendant plus de 10 ans et systématiquement acquitté. Fasciné par ce parcours hors norme, Paolo Sorrentino a cherché à savoir pourquoi le pouvoir pouvait être l’énergie de toute la vie d’un homme et l’objet de luttes si criminelles.
Pourtant, la grande force du film est de ne pas essayer de faire un documentaire sur ce personnage réel, ni de lui donner une aura romanesque. Il s’agit plutôt de faire le portrait du Mal tel qu’il peut exister dans le monde contemporain. Pas d’image d’archives, pas de reconstitution historique mais des intuitions artistiques qui donnent au spectateur le sentiment d’effleurer toute la noirceur de cette soif inextinguible de pouvoir. Comme ce chat croisé dans les couloirs du Sénat, face à face silencieux entre la Bête et l’Homme où Andreotti semble se ressourcer dans le regard brillant du Malin avant d’entrer dans l’arène des décisions politiques pour les tordre dans son sens. Toni Servillo, l’acteur qui joue le personnage principal, a pris les tics et les attitudes d’Andreotti. Mais il évoque d’abord le gnome moyen-âgeux, celui sorti tout droit des pires légendes, le monstre qui se déguise en être humain pour chasser ses proies. Il fait peur par sa petitesse, sa calme détermination et par l’imaginaire qu’il véhicule. On sait alors qu’il a du sang sur les mains, celui de tous les crimes commandités pour éliminer un ancien allié devenu trop dangereux ou un véritable ennemi. Voire même le sang de tous les grands tyrans mythiques. Il est devenu l’image du Démon, même pour ceux qui ne connaissent rien à la vie politique italienne.
Personnage énigmatique, d’une très grande culture lui permettant de citer tous les auteurs classiques pour justifier ses actions, Andreotti est aussi attaché à la culture religieuse de son pays. La Bible est parfois pour lui un vaste terrain de jeu où il puise à sa guise des passages qui l’arrangent. L’amitié et la famille sont des tremplins dont les acteurs ne semblent être que des marionnettes, qu’il jette sans aucun remords en cas de besoin. Bref, un personnage fascinant qui intrigue beaucoup Paolo Sorrentino : « Les années 1990 furent la dernière époque où les hommes avaient du style. Aujourd’hui, les choses sont les mêmes mais elles se font avec plus de vulgarité, sans panache. En France, il y a bien un Nicolas Sarkozy »
Enfin, quand on demande au réalisateur si la présence au Festival de Cannes de deux films italiens traitant de sujets politiques peut être interprétée comme un renouveau du cinéma politique italien, il répond : « Je ne suis pas si optimiste Il s’agit malheureusement de deux cas isolés. » Paolo Sorrentino ajoute qu’il ne comprend toujours pas pourquoi on peut consacrer toute sa vie à la recherche du pouvoir. Il Divo est un film intelligent, autant sur le fond que par sa forme, élégante, dynamique et puissante qui donne chair à toutes les interrogations soulevées par le scénario. C’est un nouveau souffle pour le cinéma italien mais avant tout, du grand cinéma !
Magali Van Reeth