de Courtney Hunt
Etats-Unis, 1h37, 2008.
Grand prix au Festival de Sundance 2008, prix Signis au festival de San Sebastian 2008, en compétition officielle au Festival de Marrakech 2008.
Sortie en France le 7 janvier 2009.
avec Melissa Leo et Misty Upham.
Au cœur d’une nature hostile, deux femmes en prise avec un destin tout aussi hostile, s’affrontent puis s’épaulent pour offrir un futur meilleur à leurs enfants.
A la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, l’hiver est rude, surtout pour les exclus de la société de consommation, comme Ray. Elle habite avec ses deux enfants dans une caravane déglinguée où le froid est mordant et où ses économies se volatilisent. Ne sachant plus quoi faire pour trouver de l’argent, elle est prête à accepter un trafic illégal organisé par les Indiens de la réserve toute proche. Mais pour cela, il faut traverser la rivière gelée et mettre sa vie en danger. Plusieurs fois dans le film, différents personnages frôlent la mort. Plusieurs fois, la métaphore de cette couche de glace – qui sépare deux états, deux pays et qui peut si soudainement céder – revient secouer le spectateur.
Pour la réalisatrice américaine Courtney Hunt, tout est parti d’une situation bien réelle : « L’idée de Frozen River est née quand j’ai entendu parler du trafic d’immigrés à la frontière canadienne, en rendant visite à ma belle-famille à Malone, dans l’état de New-York. Il y a plusieurs réserves d’Indiens de part et d’autre de la frontière, ce qui donne lieu à une situation juridique hors normes. Quand j’ai appris que certaines femmes indiennes participaient à ce trafic en traversant en voiture la rivière Saint Laurent gelée, j’ai été subjuguée. A l’époque, j’ai rencontré deux femmes qui faisaient du trafic de cigarettes. Mais lorsque le Canada a baissé la taxe sur le tabac, certains trafiquants se sont reconvertis dans le trafic d’immigrés clandestins : c’était souvent des Chinois et des Pakistanais qui souhaitaient entrer aux Etats-Unis en passant par le Canada, ce qui est plus facile. »
La fiction permet de donner corps à ces situations. A travers les personnages de Ray et de Lila, deux femmes isolées, issues de deux communautés différentes mais deux femmes aussi seules dans l’adversité. Pour elles, les conditions de vie au quotidien sont devenues si difficiles qu’elles perdent peu à peu toute notion de sens moral. L’idée du Bien se perd dans l’égoïsme de la survie, quand il faut d’abord s’acharner à traverser le quotidien, parfois heure après heure tant les conditions économiques et affectives sont précaires. La réalisatrice de Frozen River nous montre combien l’être humain se dégrade dans un environnement économique et humain où il n’est plus qu’un pion parmi d’autres, interchangeable et à qui on nie toute individualité. Que ce soit à l’intérieur des réserves indiennes où les traditions servent parfois à refuser toute dignité aux femmes, ou dans les sociétés capitalistes où certains salaires ne permettent pas de vivre décemment. Acculées à des conditions extrêmes, Ray et Lila vont devoir faire équipe malgré elles en trouvant encore plus misérables qu’elles à exploiter. Dans cette escalade de violence, de mise en danger et d’égoïsme, elles vont pourtant trouver ensemble le chemin de la dignité et de la générosité.
L’actrice Melissa Leo a remporté le prix d’interprétation féminine au Festival de San Sebastian et de Marrakech. A ce Festival 2008 de San Sebastian, Frozen River a aussi obtenu le prix Signis : « Pour sa profonde approche interculturelle dans l’histoire de deux femmes luttant contre le racisme, une maternité déchirée et le trafic des êtres humains. Devant cette rivière gelée (qui donne son nom au film), les personnages apprennent à accepter leur culpabilité et à découvrir de nouvelles voies d’espérance et de pardon. » Les membres du jury Signis étaient : Ricardo Yà¡à±ez (Argentine/Etats-Unis), Santiago de Pablo (Espagne), Edgar Rubio (Mexique), Jerà³nimo José Martàn (Espagne) et Wolfgang Hamdorf (Allemagne).
Magali Van Reeth