de Nuri Bilge Ceylan
Turquie/France/Italie, 1h49, 2008.
Compétition au Festival de Cannes 2009, prix de la mise en scène.
Sortie en France le 14 janvier 2009.
avec Yavuz Bingà¶l, Hatice Aslan, Ahmet Rifat Sungar et Ercan Kesal.
Dans les tourments du ciel où l’orage est menaçant, la dislocation d’une famille ordinaire que les tourments de la vie perturbent jusqu’à confondre petite combine et véritable crime, un film sombre et fort.
Nuri Bilge Ceylan est un grand réalisateur turc et tous ses films ont été en sélection officielle dans les festivals de Cannes ou de Berlin. Films dramatiques et puissants, ils disent les tourments de l’âme humaine : « J’ai toujours été intrigué, fasciné et en même temps effrayé par les manifestations du spectre incroyablement large de la psyché humaine. J’ai toujours été étonné d’observer la coexistence, au sein de l’âme humaine, du goût du pouvoir et de la capacité à pardonner, de l’intérêt pour les choses les plus sacrées comme pour les choses les plus banales, de l’amour comme de la haine. Et ce qui me pousse à faire des films, c’est cette volonté de comprendre notre monde intérieur qui ne peut être formulé rationnellement. () C’est l’âme des personnages que j’aime explorer. » Ses deux précédents films, Uzak en 2003 ou Les Climats en 2006, mettaient déjà en scène les conflits intimes qui pourrissent les relations entre les êtres, sur fond de dérèglements climatiques. La neige ou la canicule pour dire la sécheresse intérieure ou le feu de la passion. Dans ce film, Les trois singes, le temps qu’il fait est non seulement très présent à l’image mais aussi à l’image des sentiments et des émotions que vivent les trois membres d’une famille ordinaire. Le ciel est à l’orage, le tonnerre gronde, la pluie est lourde et sale. La Turquie est montrée en dehors de tous clichés touristiques : le temps est maussade, les gens n’arrivent pas à vivre ensemble, la banlieue est délabrée et sans âme, les rues vulgaires et l’urbanisation est sauvage, sauvage comme aujourd’hui ceux qui ont perdu leurs repères et oscillent entre petites combines et grands crimes sans vraiment faire la part des choses.
Les trois singes de cette histoire, dont le titre fait bien sûr référence aux trois singes de la culture chinoise (ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler) sont les trois membres d’une famille, le père, la mère et le fils déjà adulte qui, n’ayant pas de travail, vit difficilement le fait de rester à la maison. Famille modeste où les soucis d’argent empoisonnent le quotidien jusqu’au jour où le père, un peu contre son gré, un peu partant, va accepter une combine de son patron. Tout ce qui suivra peut être vu comme une escalade dans le crime et la corruption, par des êtres qui semblent à peine réaliser la portée éthique de leurs actes. Le mauvais temps qu’il fait dehors, et dans le ciel et sur la terre, perturbe tant les consciences qu’il devient difficile de garder des repères : le Bien et le Mal existent-ils encore pour quelqu’un ? Les trois singes est un film noir, sombre comme la complexité de l’être humain lorsqu’il s’égare dans une vie où il ne trouve plus de sens. Tout le film est baigné dans une lumière comme grise et sale où percent à peine des nuances d’ocre et de violet. A la fois écrasant et magnifique, comme un roman de Dostoïevski. Nuri Bilge Ceylan : « Ces images sont celles de mon âme. Elles correspondent à ma vision du monde depuis 20 ans. Et maintenant, j’arrive mieux qu’avant à obtenir ce que je veux techniquement. Je suis une personnalité assez sombre! Et je lutte pour que la vie soit plus tolérable. »
Magali Van Reeth