DEROULEMENT DES PRISES DE PAROLES
Véronique Minet
L’homme peut-il vraiment être humain si son cœur n’est orienté vers la recherche de Dieu et des réalités ultimes, recherche de l’autre du Tout Autre, du transcendant, de la vie ? Comment faire pour que dans les cultures d’aujourd’hui cette recherche de Dieu ne disparaisse pas ? Comment nourrir le dialogue avec les chercheurs de sens et de transcendance ?
Une attention à tout ce qui est acte de parole et d’écriture. Rôle de l’école et des bibliothèques pour être des chemins vers la parole.
Un renouvellement du concept de parole de Dieu plus large que les Ecritures, diversité des livres et unique Parole de Dieu. Comment revenir sans cesse à la recherche de l’unité de l’Ecriture dans la diversité des écritures ?
L’urgence de lire les Ecritures en communautés. La Parole donne naissance à la communauté, et la communauté donne naissance à la Parole. Les Ecritures ne deviennent parole vivante que quand elles sont lues en communauté.
« La Parole de Dieu et son action dans le monde se révèlent dans la parole et dans l’histoire humaine » Dieu se dit et nous parle dans la réalité de l’histoire de nos peuples et de nos vies. Comment Dieu se dit-il dans les paroles et les histoires de nos cultures ?
Si l’homme cherche Dieu, c’est d’abord Dieu qui cherche l’homme. Il attend une réponse. La révélation chrétienne est dialogale. « C’est un chemin de vie où Dieu vient à la rencontre de l’homme afin de lui permettre de venir à sa rencontre »
Michel Barlow
Je me contenterai d’exprimer ici mes réactions à l’égard des affirmations du Pape sur « les racines de la culture européenne » Je suis choqué par l’aspect partisan de ses propos. Benoït XVI parle comme ces politiciens qui considèrent que seul leur parti a eu une action positive, voire que lui seul a le droit d’exister, que lui seul finalement existe. A en croire le Pape, en effet le christianisme serait la seule et unique racine de la culture occidentale et de toute culture possible (c’est la dernière phrase de son discours) Soit dit entre parenthèses, il est pour le moins surprenant -surtout en présence de représentants de l’Islam – de ne pas mentionner l’apport considérable de la culture musulmane, et notamment de sa philosophie à l’égard de sa pensée médiévale en occident. Saint Thomas d’Aquin aurait-il pu écrire la Somme Théologique si Avicenne et Averroès ne lui avaient tracé le chemin – et avec quel brio ?
Je me demande aussi comment un responsable d’institution – a fortiori un responsable d’Eglise – peut caricaturer de façon aussi grossière ceux qui ne partagent pas son point de vue, en considérant que ce qui n’est pas art « sacré » (en l’occurrence musique « sacrée ») n’est que « l’œuvre d’une créativité personnelle où l’individu, prenant comme critère essentiel la représentation de son propre moi, érige un monument à lui-même »
Je me demande s’il ne serait pas plus conforme à l’évangile de porter un regard de foi sur le monde réel qui nous entoure. Un monde où force est bien de le constater, des cultures fort différentes cohabitent. Le pape lui-même semble ouvrir cette piste en évoquant la dimension eschatologique de la vie monacale. En entendant par eschatologie non pas l’attente confiante ou terrorisée de la fin des tempos, mais un regard qui donne sa pleine signification à « l’aujourd’hui de Dieu », comme dit l’épître aux hébreux : le Royaume est déjà parmi nous pour qui sait le reconnaître et l’accueillir.
Regarder ce monde multiculturel avec foi, c’est reconnaître que, sous nos yeux, se vivent différentes formes d’alliance entre Dieu et l’humanité. Ce qu’Irénée de Lyon appelait l’alliance de Noé – la volonté de faire réussir la Création en soi-même comme autour de soi – n’est pas une étape révolue de la conscience religieuse. Elle cohabite aujourd’hui avec d’autres formes de relation à Dieu : ce qu’Irénée appelle l’alliance de Moïse : recherche de Dieu dans la pratique d’une religion, quelle qu’elle soit ; ou encore l’alliance d’Abraham : fidélité à un absolu, à un idéalqui peuvent être rigoureusement laïcs. Et l’Alliance avec Dieu en Jésus Christ, qui nous a été offerte par grâce et sans aucun mérite de notre part, ne serait pas fidèle à l’Evangile si elle ne s’efforçait d’intégrer – Irénée, à la suite de Paul, dit de récapituler – toutes les autres formes d’alliance. Ce qui signifie d’abord de les accueillir pour elles-mêmes en respectant leur spécificité
Georges Decourt
Il est donc question de la place de la théologie dans la construction d’une culture européenne. La thèse en est que cette culture européenne prend naissance dans une conjoncture particulière, une fracture culturelle due à l’effondrement de la culture antique grecque. Le monachisme fonde cette nouvelle culture qui se déploie à partir du 6° siècle.
La thèse de Benoît XVI est la suivante : si le monachisme chrétien qui repose sur la quête de Dieu est au fondement de la culture européenne, alors on ne peut pas réfuter cette quête de Dieu comme le fait la culture positiviste, en conséquence la culture positiviste n’appartient pas à la culture européenne. Pourrions nous connaître aujourd’hui une nouvelle conjoncture qui verrait l’effondrement de la culture ancienne, née avec le monachisme et verrait naître une culture nouvelle marquée par l’ignorance de la quête de Dieu ? Pour le pape en dehors de cette quête de Dieu, il n’y a pas de culture véritable. Pourtant dans les cultures européennes contemporaines grandit l’indifférence envers Dieu. Le discours répond non, nos contemporains cherchent eux aussi le Dieu inconnu, malgré tout, malgré les apparences contraires ?
La culture antique, grecque, reposait sur cette quête du Dieu inconnu
Nier la quête de Dieu, c’est ne pas appartenir à la culture européenne, ignorer la quête de Dieu, c’est ne pas appartenir à une véritable culture.
Peut-il exister une culture sans quête de Dieu ? Si c’est non, alors la culture européenne est le modèle de toute culture, la matrice de toute annonce du Christ, et annoncer le Christ, c’est l’annoncer avec cette culture. Si c’est oui, alors pour annoncer le Christ en l’absence de toute quête de Dieu il faudrait reprendre le modèle évangélisateur du monachisme, c’est-à -dire être soi-même en quête de Dieu dans une culture qui lui est étrangère, barbare. C’est ce qu’on nomme l’inculturation de la foi chrétienne, « incarnation de l’évangile dans des cultures autochtones et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’église » (Jean-Paul II)
Le premier cercle des disciples de Jésus est composé de personnes de culture juive, le deuxième cercle est constitué de juifs de la diaspora lisant la bible dans sa version grecque, citoyens de Rome, de Tarse ou d’ailleurs, le troisième cercle était constitué de prosélytes, le quatrième cercle de « gentils ». Pour ces derniers la question s’est posée de savoir s’ils devaient épouser la foi juive et la culture juive de ces premiers disciples. La réponse a été non. Chacun peut désormais vivre le message du Christ dans sa propre langue sans être circoncis, sans monter au temple : une règle foi sans discrimination basée sur les règles sociales des autres groupes, riches-pauvres, hommes-femmes, maîtres-esclaves, grecs-juifs Cette règle de foi, ce sont les évêques qui en sont garant en tant que successeurs des apôtres pour qu’elle traverse toutes les cultures sans discrimination. On peut vivre la foi chrétienne, chercher Dieu dans toutes les cultures, c’est la règle de foi qui nous a été transmise par la tradition apostolique.
Cette quête de Dieu a des effets culturels, sociaux, économiques qui ne constituent pas l’objectif primordial de la communauté des disciples du Christ. C’est dans cette quête de Dieu que prend naissance l’annonce du Christ par la parole, le chant, la liturgie, le travail, mais aussi par le travail, le silence, la connaissance (suite)
JF Chiron
Le but de Benoit XVI, c’est de témoigner d’une direction, un aller vers. Est-ce que la recherche de Dieu a de l’intérêt pour le monde d’aujourd’hui ?
Le thème de la raison est très présent. Benoît XVI est dans la continuité de Veritatis Splendor de Jean-Paul II. La vraie liberté, c’est rechercher la vérité.
Ce discours est pour les trois quart une méditation sur l’état de vie monastique. On est avec ce discours plutôt au 11° et 12° siècle, mais pas au 13°siècle comme point de départ.
Les gens d’aujourd’hui travaillent beaucoup, même le dimanche, mais ce n’est plus le travail qui est une valeur, c’est plutôt le loisir.
Pour Benoît XVI le verbum latin, c’est le logos grec, c’est la raison.
Benoît XVI a bien conscience que pour les croyants, ce qui constitue l’être humain c’est sa relation à Dieu. Habituellement ce qui compte c’est l’être, et puis la relation c’est ce qui s’ajoute à l’être et qui peut plus ou moins le modifier. Pour le croyant ce qui constitue l’être humain c’est une relation à Dieu. Si nous disons que nous sommes enfants de Dieu qui est Père, ce que nous sommes dépend d’une relation. Cette relation n’est pas un pourcentage plus ou moins grand de l’être humain, ça le constitue dans tout ce qu’il est. De même que l’être humain est tout entier un être de langage, l’être humain est tout entier un être de relation à Dieu. Le problème est que si vous voulez définir l’être humain sans cette relation qui le définit comme enfant de Dieu, vous amputez l’être humain. Cela peut apparaître comme une position intransigeantecomment ne pas l’être ? Le problème est que l’être humain en société ne se définit plus comme en relation à Dieu, la déclaration Dignitatis humanae de Vatican II, l’Eglise a accepté de sortir d’un idéal de chrétienté. Ce qu’elle a admis pour l’être humain en société, peut elle l’admettre pour une définition de l’être humain en tant que tel ?
A première lecture on peut comprendre que la seule culture humaine, humanisante, c’est la culture chrétienne, ou croyante, puisqu’il est dit que toute culture doit chercher Dieu, être ouverte à une transcendance. Cette expression chercher Dieu peut être comprise à deux niveaux. Chercher Dieu, quête de Dieu, quaerere Deum, cette expression revient 21 fois dans le discours. Je ne pense pas que Benoît XVI veuille faire de la société occidentale un nouveau monastère. Il se réfère à ce qui constitue le travail des théologiens catholiques, hier les moines, comme aujourd’hui. C’est l’idéal chercher Dieu, se chercher par un Dieu qui est dans l’Ecriture, dans la Parole, dans une communauté de foi. Le chercher Dieu peut être aussi la caractéristique d’une société qui doit au moins rester ouverte à la transcendance, au moins ne pas la nier. Il faut envisager ces deux sens : modèle le moine du 11° siècle et au sens où une société qui récuserait quelque chose qui est de l’ordre de cette recherche se condamnerait elle-même. Laisser au moins une ouverture à Dieu et non pas ériger un système clos où Dieu, le divin, le transcendant n’aurait par principe pas de place.
Les trois dernières phrases di discours ont le mérite de réveiller ceux qui auraient pu s’endormir pendant les 30mn.
Il ne s’agit pas de prôner un régime de chrétienté ou un régime monastique, mais de dire qu’à partir de cet exemple médiéval une société qui nierait toute ouverture au transcendant se condamnerait elle-même.
« La dernière phrase du discours ne condamne-t-elle pas comme veine toute culture profane et donc tout dialogue avec une culture athée et portant soucieuse de développer l’humain et les valeurs spirituelles ? » Qu’est ce que vous entendez par culture athée, si c’est une culture qui récuse ce que le pape nous présente comme ouverture au transcendant, cela en effet le pape le récuse. Si c’est une culture soucieuse de l’humain et des valeurs spirituelles, alors on a quelque chose qui est de l’ordre de l’ouverture au transcendant, le dialogue devient possible.
« Un discours courageux et décevant, reprend Véronique Minet, car il manque une ouverture à toutes ces personnes qui dans leur propre culture essaient de chercher une dimension spirituelle, sans être dans la culture chrétienne »
« Une communication bizarre, reprend Michel Barlow, qu’un discours qu’il faut interpréter longuement »
Le discours était dans un lieu, monastère et il a voulu partir de là . C’est le prof qui dit je vous donnerai à la sortie le texte.
Les deux dernières phrases. « Une culture positiviste » Ce qu’il récuse, c’est par principe une culture qui récuserait l’ouverture au transcendant.
Question de la salleUn débat interne à la philosophie allemande ?
On a exclut la théologie des facultés d’état. La théologie est disqualifiée dans le système universitaire français. Vous êtes théologien, vous êtes rien. Sauf si vous avez une thèse conjointe. Ce n’est pas le cas dans d’autres cultures, y compris en Allemagne. Je ne suis pas sûr que ce soit mieux en France.
JF Chiron le plan du discours
Une partie Ad intra sur le travail théologique en lui-même, une réflexion sur la parole et les conditions de cette réflexion. Et une partie témoignage ad extra. La référence ad intra ce sont les moines, ad extra c’est St Paul.
Ad intra
La devise des moines bénédictins ora et labora, prie et travaille. Culture de la parole et culture du travail. Cette culture de la parole. Ce qui est premier c’est la parole, une parole médiatisée par les paroles. « La parole donne naissance à une communauté, la communauté de tous ceux qui cheminent dans la foi » La parole fait l’Eglise. Il faut articuler les deux.
Qui dit parole dit dialogue, aller et retour : « l’écoute d’une parole suscite une réponse ». Ecouter Dieu pour lui répondre. Et là le pape parle des psaumes comme parole adressée par Dieu à nous et par nous à Dieu quand on les chante. Pour Jean Paul II l’homme était croyant dans l’oraison personnelle, pour Benoît XVI le croyant s’exprime comme croyant dans la liturgie.
Puis on revient à cette Parole qui vient à nous par des paroles, des livres. O parle des Ecritures comme l’unique Parole qui nous est adressée. Il s’agit de trouver le sens qui unifie le tout. « Le logos déploie son mystère à travers cette multiplicité »
« L’Ecriture a besoin de l’interprétation », elle ne va pas de soi. La Parole de Dieu c’est ce livre tel qu’il est lu, compris, proclamé dans la communauté. Il existe des dimensions du sens de la Parole et des paroles qui se découvrent uniquement dans la communion vécue de cette Parole qui crée l’histoire. D’où la récusation de tout fondamentalisme avec cette tentation qui consiste à en rester à la lettre.
Le passage où est cité un adage médiéval de Augustin de Dacie. Aujourd’hui nous dirions qu’il faut interpréter la parole de Dieu en la remettant dans son contexte. Benoit XVI dit « La lettre enseigne les faits, l’allégorie ce qu’il faut croire » il y donc plusieurs façons d’interpréter l’Ecriture, celle où on la replace dans son contexte d’origine et une façon allégorique, plus poétique : la manne comme annonce de l’Eucharistie, le serpent d’airain c’est déjà le Christ.
Le comment interpréter ne peut être qu’une lecture dans l’Esprit. C’est dans l’Esprit saint que peut s’opérer « le lien de l’intelligence et de l’amour ». Ce qui vaut pour Jean-Paul II pour le registre moral, anthropologique, pour Benoit XVI ça vaut pour la lecture de l’Ecriture. Lire l’Ecriture avec l’Esprit qui rend libre, ça n’est pas une pure subjectivité, c’est le line de l’intelligence et de l’amour.
XI et XIII° siècle.
Pendant le premier millénaire jusqu’au 11° 12° siècle (la transition c’est le 12°siècle, comme pour la transition du roman au gothique) le lieu où on fait de la théologie, c’est le monastère, en lisant la bible, en la méditant et en priant, à partir de la lecture.. Lectio, meditatio, contemplatio. C’est la lectio divina. A partir du 12° siècle le lieu où on fait de la théologie c’est l’université et la lectio de la Parole de Dieu, c’était pour l’enseignement. Questionner cette Parole de Dieu pour faire passer un enseignement, un message. Passage d’une théologie biblique, méditative, prière, à une confrontation d’interprétations, à une théologie plus dialectique, et à l’essai de synthèse comme le fut la Somme théologique de Thomas d’Aquin. Benoît XVI se situe du côté de la première façon, il n’est pas un thomiste. Il est dans une lignée plus monastique. Il y a ainsi plusieurs façons de faire de la théologie.
Le Labora avec une belle méditation sur le travail.
Le chercher Dieu comme attitude « vraiment philosophique ». Un thomiste aurait sans doute distingué l’attitude théologique et l’attitude philosophique. Dans une perspective médiévale, la philosophie est d’emblée articulée à la théologie.
Cette Parole sur laquelle on médite, on travaille, il s’agit de l’annoncer. L’annonce de l’inconnu connu » : on est un peu comme du temps de l’aréopage, les hommes d’aujourd’hui pressentent quelque chose qui est de l’ordre du divin, du religieux, du transcendant. Est-ce que la société va ménager une ouverture à cela ou clore ?
Rechercher Dieu, c’est maintenir l’ouverture à une transcendance au moins comme possibilité, ne pas la disqualifier à priori.