Un Prophète

De Jacques Audiard

France, 2h29, 2008.

Grand prix au Festival de Cannes 2009.

Sortie en France le 26 août 2009.

avec Tahar Rahim, Niels Arestrup, Ychem Yacoubi, Adel Bencherif, Reda Kateb.

Dans l’univers très violent des prisons, l’itinéraire d’un jeune homme en pleine perdition qui, dans la douleur, va apprendre les codes d’une véritable libération.

prophete2.jpgLes premières scènes du film montrent un jeune homme apeuré, le regard terrorisé. Dans la dernière, il sort de prison. Un Prophète, le nouveau film du réalisateur français Jacques Audiard, raconte six années d’enfermement. Enfermement dans les murs de la prison mais aussi le douloureux apprentissage de la vie en communauté qui permet à  Malik de sortir de lui-même, de se libérer de son ignorance. A sa sortie, c’est un homme qui a appris la survie à  l’intérieur de la prison et donc, forcément, à  l’extérieur, dans le grand corps social qui, lui-même gère la prison et les autres enfermements.

Voulant se démarquer clairement du documentaire tout en restant crédible, Jacques Audiard tient d’abord à  raconter une histoire qui se déroule sous nos yeux, presque en temps réel – plus de deux heures trente de projection. Son personnage principal est un héros, dans le sens où il lui faut à  la fois combattre son environnement extérieur, mais aussi ses propres faiblesses, pour se libérer à  la fois de l’univers carcéral mais aussi de son propre personnage.

Son itinéraire est un long et douloureux apprentissage, six années à  vivre dans la peur, la souffrance, les remords. Apprendre à  voir, à  connaître, à  comprendre, à  résister, esquiver, réagir. D’autres langues, d’autres cultures, des univers opaques à  déchiffrer pour ne pas souffrir encore plus. Malik est une éponge qui absorbe, souffre, lutte, décrypte, apprend chaque jour, chaque heure. D’un animal traqué au début, esclave de ceux qui ont le pouvoir sur les autres, il devient un homme. Pas un super héros, pas un chef de gang, juste quelqu’un qui peut choisir librement et seul sa destiné.

Certes, la fin et les moyens pour y parvenir peuvent paraître « amoraux » pour certains. Mais qu’est ce que la morale bourgeoise, philosophique ou religieuse traditionnelle pour ceux qui sont coincés dans un univers clos et extrêmement violent ? Celle des grands financiers de la planète qui s’enrichissent sur le dos des plus pauvres ? Celle des nantis qui dînent tous les soirs et s’endorment au chaud sans craindre pour leur vie ? Pour Jacques Audiard, Malik est un véritable héros : « Le monde change, les figures héroïques doivent évoluer ».

Le film soulève toutes ces questions frontalement, crûment. La violence de la prison, la violence physique et psychique est montrée sans détours. Nous respirons avec Malik la souffrance quotidienne. Ici, le grand combat est de se ré-approprier son corps. Ne pas laisser les autres l’utiliser (coups, drogue, sexe, nourriture) à  leur guise, ne pas être l’esclave de la tyrannie d’un autre, d’un groupe. La prison est bien réelle, avec des conditions de vie au souvent inhumaines mais sans cesse, elle nous renvoie à  toute forme de vie en société. Où qu’ils soient, les hommes abusent de leur force, qu’elle soit intellectuelle ou musculaire. Un Prophète montre une libération, non pas celle accordée par une société mais celle qu’un être humain arrache à  lui-même et à  ses semblables.prophete3.jpg

Après plusieurs films tournés avec des acteurs connus, Jacques Audiard savait que pour affronter un sujet social aussi fort, il devait tourner avec d’autres, moins connus. Se démarquant des clichés des « films de prison », il donne la part belle aux physiques d’Arabes, non pas des gros bras musclés mais des corps fluides, heurtés et malléables. Malik, le personnage principal est magnifiquement incarné par Tahar Rahim. Avec lui, Hichem Yacoubi (dont le corps de danseur est irradié par le côté onirique de ses apparitions), Adel Bencherif et Reda Kateb. Mais aussi Niels Astrup, qui joue le chef corse sans avoir rien de corse et qui peut donc ancrer totalement son personnage dans la pure fiction. Chacun trouve sa place dans ce grand ballet d’ascension et de déchéance, au service du film et non d’une carrière personnelle.

Un Prophète est donc un film majeur, qui pose des questions sociales épineuses. Il est donc très violent, sur le fond comme sur la forme. Cette violence n’est pas gratuite, elle n’est pas là  pour transformer le spectateur en voyeur mais pour questionner la violence sociale et notre dépendance au groupe dans lequel nous évoluons. Le film s’interroge douloureusement sur les conditions d’incarcération des « rebuts » de nos sociétés. Parce qu’un homme a enfreint la loi, doit-il pour autant le payer si fortement dans sa chair et dans son âme ? Punir mais comment ? Quelle société sommes-nous pour accepter cela ? Comme le précise le réalisateur, « Malik a conscience du bien et du mal, il le sait dans sa chair car, justement, on lui a fait du mal. » Des questions éthiques posées à  travers une remarquable mise en scène et une excellente direction d’acteurs. Pour Un Prophète, Jacques Audiard a reçu le Grand prix au Festival de Cannes 2009.

Magali Van Reeth

Signis

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