de Joann Sfar
France, 2h10, 2009.
Sortie en France le 20 janvier 2010.
avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Dinara Droukarova, Razvan Vasilescu, Laetitia Casta.
Avec une belle exubérance artistique, un dessinateur rend hommage à un chansonnier déraisonnable, et à une époque qui l’était tout autant. Un portrait attachant car il montre aussi les monstres qui se cachent derrière les sirènes de la gloire.
Il est toujours intéressant de voir comment un artiste parle d’un autre artiste. Dans Gainsbourg, vie héroïque, Joann Sfar, auteur contemporain de bandes dessinées, s’empare de la légende de Gainsbourg, chanteur à la réputation sulfureuse, disparu depuis presque vingt ans. Deux mondes artistiques, deux époques se font écho.
Loin d’édifier une statue de marbre, Joann Sfar fabrique un conte peuplé de personnages féériques. Les femmes sont des sirènes, des apparitions presque divines, toutes plus belles les unes que les autres. Des enchanteresses, des princesses, des ravisseuses qui illuminent le monde terrifiant d’un éternel petit garçon. Celui qui a appris qu’il était juif et moche lorsque des policiers français ont épinglé une étoile jaune sur le revers de sa veste. Un film réaliste où des marionnettes traversent l’écran pour donner corps aux monstres qui hantent les douleurs des hommes, leurs égarements et leurs déchéances.
Gainsbourg, vie héroïque, c’est aussi l’évocation enivrante d’une époque déraisonnable, où on fumait des Gitanes à la chaîne et buvait de l’alcool sans modération, où les chansons pouvaient encore être scandaleuses. On avait plus souvent la gueule de bois que la langue de bois. Quand Gainsbourg disait « Je suis un insoumis », il le prouvait, hélas, jusque dans sa déchéance physique. Enfant déluré, qui se savait laid, il aimait passionnément son pays, ne comprenait pas pourquoi il était scandaleux de chanter la Marseillaise en reggae (un si beau chant de guerre !). Il aimait aussi passionnément ses femmes et ses enfants et ne comprenait pas non plus comment il pouvait leur faire du mal.
Personnage aux facettes multiples, dans une époque qui tournoyait entre la fin des guerres et l’ère nouvelle de mai 68, Joann Sfar nous donne à respirer et l’artiste et son temps, dans une composition très personnelle et enivrante. Certes, il y a quelques maladresses dans ce premier long métrage, notamment dans la deuxième partie du film, un peu déséquilibrée dans son déroulement. Mais Gainsbourg, vie héroïque fait goûter au déraisonnable sans jamais mettre mal à l’aise. Gainsbourg était d’abord un poète et la poésie, avec son lot de mystères, de scintillements et de misères parcoure le film de bout en bout.
Tout un univers créé par le dessinateur Joann Sfar : marionnettes, dessins, musiques, décors et acteurs, tout participe à l’esprit du conte. Rien n’est vrai : tout sonne juste et nous touche au plus profond de nous-mêmes. L’acteur Eric Elmosnino évoque parfaitement Gainsbourg sans vouloir le singer et on gardera longtemps en mémoire cette scène féérique où Laetitia Casta « nous » fait Brigitte Bardot, scène improbable mais tellement séduisante
Magali Van Reeth
Signis