de Jacques Doillon
France, 1h47, 2009.
Sortie en France le 21 avril 2010.
avec Pascal Greggory, Julie Depardieu, Louis Garrel.
Dans une écriture cinématographique élégante, le réalisateur Jacques Doillon dissèque le mal-être contemporain lorsqu’il s’agit de relations sentimentales. Un constat impitoyable et déprimant.
Dans les films de Jacques Doillon, les personnages sont en grande souffrance. Malaise, deuil, jalousie enveloppent les personnages d’un linceul qui les empêchent de sortir de leurs sentiments négatifs, d’aller vers les autres. Dans Le Mariage à trois, comme dans beaucoup de ses films, vivre est une punition et l’amour est un supplice. Dans une belle et grande maison de campagne, un dramaturge reçoit un metteur en scène et les deux acteurs pressentis pour sa nouvelle pièce. Sachant que l’actrice est son ex-femme, que l’acteur est l’amant de celle-ci et que sa nouvelle secrétaire est une jolie étudiante, tout est mis en place pour un marivaudage.
Mais chez Doillon, le marivaudage est amer et l’humour et la légèreté sont souvent absents de son univers. Le début du film est un ballet éblouissant où les personnages, incapables de « se poser », tournent autour de la table du déjeuner et apportent, avec le sel ou la salade, une part de leur état d’esprit, de leur gêne, de leur désir. L’instabilité intime et affective des 5 personnages les pousse à se lever à peine assis, à entrer et sortir de la terrasse, du bureau, de la cuisine, du jardin, dans un tournoiement incessant qui rappelle les guêpes prises au piège. Ici, le miel qui attire est le désir. Désir d’être aimé, à la fois de son ex-mari et de son nouveau fiancé, désir de se venger de ceux qui n’aiment plus ou qui pourraient aimer celui qu’on a délaissé… Tout est égoïsme, jalousie, méfiance.
Une fois posé tous les éléments de ce huis-clos campagnard et théâtral, le film perd un peu de son intensité. Et le spectateur son intérêt pour le sort de ses personnages dont on ne voudrait pas pour amis. Cela permet de mieux contempler la très belle photo de Caroline Champetier, ainsi que le jeu des acteurs. Si Louis Garrel a toujours l’air d’être sorti de son lit sans enthousiasme, Pascal Greggory sait trouver l’inquiétude d’un auteur qui perdu sa raison d’écrire. Et regarde avec rage et envie son ex-femme, interprétée par Julie Depardieu, fragile, inconséquente et versatile.
Dans un film antérieur, Carrément à l’ouest (2001), des jeunes gens, plutôt paumés, parlaient sans fin dans une chambre d’hôtel minable. Mais comme ils manquaient de vocabulaire, ils n’arrivaient pas à affiner leurs pensées pour exprimer au plus près leurs sentiments et semblaient compliquer les choses quand ils voulaient les clarifier. Le film donnait un désagréable sentiment d’échec, sentiment qu’on retrouve avec Le Mariage à trois. Si cette fois, tous les protagonistes maitrisent parfaitement le langage – qui est leur métier – ils aboutissent à la même impasse affective et ont beaucoup de mal à prendre du recul, à déchirer le linceul.
La parole, le verbe, même chez des personnes qui maitrisent parfaitement la syntaxe et l’art de la réplique, produisent les mêmes impasses que pour les personnages de Carrément à l’ouest, comme si l’aisance de la langue ne leur était d’aucun secours pour « vivre mieux » que des marginaux coincés dans la pauvreté de leur vocabulaire. On ne sait si on doit se réjouir de cette « égalité des chances » dans le relationnel (la culture ne permet pas d’aimer mieux) ou déplorer cette incapacité de l’homme moderne à bâtir une relation de couple, quelque soit son milieu. Jacques Doillon pose la question de façon radicale.
Magali Van Reeth
SIGNIS