d’Olivier Assayas
France, 2h45, 2010.
Sortie en France le 7 juillet 2010.
avec Edgar Ramirez, Ahmad Kaabour, Nora Von Waldstà¤tten, Christophe Bach, Alexander Scheer.
Autour du terroriste et aventurier Carlos, une œuvre de pur cinéma qui fait le portrait d’une époque révolue et annonce l’avènement de l’état de guerre permanente.
Personnage ambigu et véritable criminel, Carlos a bousculé l’Europe pendant vingt ans, en lien avec presque tous les groupes terroristes d’Europe et du Moyen-Orient. Fascinant, tête brûlée et romanesque, il ne peut qu’inspirer les artistes. En 2007, le documentaire de Barbet Schroeder, L’Avocat de la terreur, évoquait déjà cette figure mystérieuse à travers son avocat, Jacques Vergès. Au dernier Festival de Cannes, le réalisateur Olivier Assayas, présentait un Carlos de 6 heures, tourné pour la télévision française.
Pour le réalisateur, le film qui sort en salle n’est « ni une réduction ni une adaptation, tout simplement une autre déclinaison, vitale, indispensable. L’arc du récit est le même, les principaux enjeux sont respectés, les scènes-clé sont là , ne manquent que les complexités, les digressions, qu’un format entièrement ouvert seul permet ». Sans doute plus accessible au public, Carlos est un film puissant qui sait « lâcher » son sujet au profit de la fiction et du cinéma.
Pourtant, en le regardant, on ne peut s’empêcher de constater les changements intervenus dans nos sociétés depuis 40 ans. Que ce soit des détails, comme la cigarette. En ce temps-là , on pouvait encore faire semblant d’ignorer les ravages de la cigarette et tous les personnages fument goulument et constamment. A tel point que, dans ce film tourné en 24 images/seconde un autre rythme, tout aussi fascinant, donne un autre tempo, celui de 24 clopes/minute En voiture, en réunion, dans les cafés mais aussi sous la douche, les volutes bleutées du tabac participent à l’atmosphère étouffante de ce film qui tient le spectateur à la gorge !
Le changement, c’est aussi, et c’est moins anecdotique, celui que le terrorisme a imprimé sur notre quotidien. On est ahuri de constater à quel point la fameuse réunion des ministres de l’Opep de Vienne en 1975 se déroulait sans aucune mesure de sécurité. Le vrai changement est là aussi, qui nous fait ouvrir nos sacs à l’entrée des grands magasins, a remplacé les poubelles des grandes villes par des sacs plastiques transparents, installé des scanners à la porte de toute manifestation et nous oblige à l’effeuillage vestimentaire avant de prendre un avion. Merci Carlos !
Mais le film n’est jamais un documentaire. Carlos, c’est une œuvre de fiction et une œuvre brillante. Olivier Assayas, à chaque instant, fait du cinéma. Que ce soit en regardant un avion se poser, en assistant à une prise d’otage, aux rebondissements diplomatiques de la communauté politique, aux arrestations ou aux amours du personnage principal, on est d’abord, et constamment, au cinéma ! Grâce aux images fluides – chères au réalisateur – à une mise en scène brillante et à une direction d’acteurs dynamique, Carlos est avant tout un grand film d’auteur.
Edgar Ramirez interprète brillamment Carlos, vieillissant et s’épaississant avec le personnage sur les 20 années couvertes par le scénario. Il joue avec tout son corps, non seulement en exprimant d’un seul regard la froide détermination du personnage, mais aussi par l’indolence d’une attitude, tout le mépris qu’il pouvait avoir pour les autres. Autour de lui, des Allemands, des Syriens, des Libanais, des Français, des Américains, des Soudanais, toute une cohorte d’acteurs parlant des langues différentes, venant de milieux encore plus différents et pourtant, réussissant le tour de force de construire ensemble cette fiction.
Enfin, la mise en scène est aussi très réussie, Olivier Assayas arrivant dans un seul plan à restituer une époque dans son décor mais surtout dans son atmosphère, tout en campant la profonde ambigà¼ité du personnage principal dans une scène très intimiste. Pas de voyeurisme dans la violence du terrorisme, pas de sympathie non plus pour ce personnage. Le réalisateur constate, avec finesse, les ravages provoqués par Carlos et les terroristes des années 1970 et 1980, qui ont profondément fait vaciller les utopies pacifistes nées après la fin de la seconde guerre mondiale et la chute du mur de Berlin.
Magali Van Reeth
Signis