de Mahamat-Saleh Haroun
France, 1h32, 2010.
Festival de Cannes 2010, prix du Jury.
Sortie en France le 29 septembre 2010.
Comment les violences d’une société déstabilisent les êtres jusque dans leur intimité : un très beau film justement récompensé au dernier Festival de Cannes.
Anéantis par plus de quarante ans de guerre civile, les habitants du Tchad survivent comme ils peuvent. Comment rester dignes et assurer les besoins de sa famille lorsque la corruption est devenue la seule forme de gouvernance, lorsque les différentes fractions armées sèment la terreur parmi la population ? Après Daratt, saison sèche (2006), Mahamat-Saleh Haroun dénonce une fois encore les ravages de la guerre dans le quotidien de ceux qui la subissent.
Ancien champion de natation, Adam, bel homme d’une soixantaine d’années, a la chance d’avoir un travail depuis de longues années. Il est maître-nageur à la piscine d’un hôtel de luxe à Ndjamena, la capitale. Il peut vivre décemment avec sa femme et même faire entrer son fils comme apprenti au bord de cette piscine. Mais l’hôtel commence à restructurer son personnel et, à la maison, Adam est harcelé par le chef de quartier qui lui demande de participer plus activement à l’effort de guerre.
La guerre, nous ne la verrons pas. Des bruits de char ou d’avion mais surtout des soldats blessés, des civils en fuite, des regards apeurés. Mahamat-Saleh Haroun montre les conséquences du chaos politique du Tchad à travers les corps meurtris, les vies brisées et l’impossibilité de vivre « normalement ». Avec le personnage d’Adam, un homme attachant, qu’on sait immédiatement doux et bon, on plonge dans la complexité et la souffrance d’un monde où tous déplorent l’absence de Dieu Comment garder sa dignité et son humanité dans un chaos où plus rien de semble juste ?
Un Homme qui crie n’est pourtant pas complètement noir et désespéré. Il y a aussi des scènes où la vie s’accroche malgré tout à travers l’amitié, l’affection ou le soin apporté à la préparation d’un repas. De l’humour aussi avec le passage des casques bleus à la piscine, les désordres intestinaux du chef de quartier ou la voisine qui vient frapper à la porte au mauvais moment.
Youssouf Djaoro interprétait déjà un des rôles principaux dans le précédent film de Mahamat-Saleh Haroun. C’est acteur qui utilise tout son corps pour transmettre des sentiments complexes, d’autant plus bouleversant dans ce film que son physique puissant est traversé par tant de souffrances intimes. Le film séduit aussi par les thèmes qu’il aborde et où tous les spectateurs peuvent se retrouver. Celui de David contre Goliath où, en ces temps de mondialisation économique, ce sont toujours les faibles et les petits qui trinquent, sans espoir de gagner contre ces puissances qui n’ont plus de visage. Enfin le sacrifice du fils, que ce soit dans son application individuelle (dois-je céder ma place à mon enfant ?) mais aussi celui d’une société quand les dirigeants d’un pays sacrifient la jeune génération pour assouvir un désir de puissance.
Au Festival de Cannes 2010, ce film a obtenu le prix du Jury. Tourné avec des fonds français, il est cependant l’œuvre d’un réalisateur africain qui s’attache à dénoncer les ravages de la guerre civile dans son pays. Réalisateur de talent, Mahamat-Saleh Haroun est lui aussi « un homme qui crie » dans le silence artistique de son pays.
Magali Van Reeth
Signis