Une exposition au musée et dans la ville, avec la colonne Pascale à Saint-Bonaventure
Du 24 février au 15 mai 2011, le musée d’art contemporain de Lyon accueille Always all ways, une exposition de l’artiste Pascale Marthine Tayou. Exposition temporaire dans les locaux du musée, à la Citée internationale, mais aussi un parcours dans des lieux très différents de la ville. Commissariat de police, magasin, administration, association et une église, Saint-Bonaventure. Pour prolonger cette visite, voici un texte du père Luc Forestier, recteur du sanctuaire.
La colonne Pascale au sanctuaire Saint-Bonaventure
[->http://saintbonaventure-lyon.catholique.fr/]
Accueillir une œuvre d’art contemporain dans une église n’est pas simplement la prolongation, légitime en soi, du geste de nos prédécesseurs qui ont toujours voulu associer la célébration de la liturgie chrétienne à la convocation du beau voire du spectaculaire, car ils étaient convaincus que l’acte humain de création qui, toujours second, s’empare des éléments créés par Dieu pour les agencer d’une manière inédite, relève de la pleine liberté humaine, voulue par le Créateur, et participe même d’une forme de collaboration à son activité permanente et gracieuse.
Comme beaucoup d’autres églises à Lyon, Saint-Bonaventure est le résultat de ce processus séculaire, où personne n’a eu peur de transformer ce qui existait, d’ajouter à ce qui était déjà là , de retirer ce qui paraissait superflu. De cela, il reste cet étonnant patchwork dont l’harmonie naît de la diversité, depuis le bâtiment du treizième siècle, d’une austère simplicité à l’image de la vie franciscaine, jusqu’aux vitraux éclatants de couleur posés après que la destruction du pont Lafayette à la fin de la Deuxième guerre mondiale avait emporté leurs prédécesseurs. Toutes les générations ont décoré, sculpté, peint, tissé, aménagé, bref ont vécu dans cette église.
Ce qui est désigné par cette formule « art contemporain » veut pourtant aller un peu plus loin, estimant que l’aspect simplement décoratif des arts traditionnels ne suffit pas à rendre compte des interrogations qui traversent le champ artistique, comme tous les autres domaines de notre monde tourmenté. Une installation d’art contemporain ne cherche jamais seulement à être jolie, quoique ce ne soit pas interdit, mais aussi à interroger celui qui la remarque, au risque de ne pas être vue ou de paraître insignifiante. Quelle question est posée à notre monde ? Quelle est cette recherche de l’artiste, dont l’œuvre témoigne, et qui peut toucher celui qui la contemple ? Quelle place dans l’histoire des représentations et dans l’interaction des cultures ?
Pourtant, une église n’est jamais seulement un espace que l’on visite bien longtemps après qu’il ait perdu toute utilité, comme on le ferait d’un château ou, hélas, d’un musée, mais elle est toujours un bâtiment habité, non seulement par la liturgie de l’Église dans son déploiement fastueux ou modeste, mais aussi par les présences très discrètes de ces priants de toutes origines, des touristes qui se hasardent dans le cœur commerçant de Lyon, des pauvres qui sont aux portes, des visiteurs hésitants qui profitent de la pénombre et du calme pour se réchauffer, pleurer ou réfléchir, des habitués qui se retrouvent pour bavarder chaleureusement. C’est pour tous qu’est dressée cette « colonne Pascale » au centre de l’église, c’est à tous qu’elle s’adresse, suscitant nécessairement des réactions variées, en particulier parce qu’elle n’est pas d’abord « utile » ce qui constitue une transgression majeure dans notre monde où règne l’économie.
Même si son titre joue volontairement sur une ambivalence, il y a un rapprochement évident entre le prénom de l’artiste et le sommet de la vie chrétienne qu’est la fête de Pâques, célébrée cette année par l’ensemble des confessions chrétiennes le dimanche 24 avril. Mais il y a, au moins, deux autres éléments de rapprochement entre ce qui nous rassemble autour de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ et l’installation que nous avons le privilège d’accueillir. Non seulement, le rappel d’une forte verticalité est particulièrement pertinent dans un bâtiment qui, au fur et à mesure des ajouts, est très large. La colonne pascale montre bien la juste posture chrétienne, qui est d’être debout – et non pas écrasé par son péché ou les forces de l’histoire – face à Dieu et face aux autres. Dans sa forme même, l’œuvre n’est pas sans rappeler cet élément essentiel de notre squelette, qui tient tout le reste et qui combine solidité et souplesse. Même si mort et violence semblent triompher partout, et d’abord en nos corps, nous sommes appelés à être relevés, autre mot qui désigne la résurrection, non seulement dans la vie future, mais en anticipant aujourd’hui notre relèvement dans l’amour et le service.
Mais le deuxième élément, plus intime encore, entre la « colonne Pascale » et ce que l’Église célèbre à Pâques tient au matériau choisi pour constituer la colonne. Il n’y a pas qu’un renvoi qui pourrait sembler exotique à la culture africaine, dont il est quand même temps de prendre conscience de son importance pour notre pays, mais il y a surtout l’usage d’éléments du quotidien que l’accumulation conduit à transcender. Ces casseroles – il faut bien choisir le mot le plus banal pour honorer la démarche – ces casseroles empilées renvoient aux incertitudes actuelles sur la capacité des humains, et non de la Terre, à suffire à leur subsistance, tout en désignant le lieu même où s’actualise pour nous le relèvement de l’humanité. Car la source et le sommet de notre rassemblement se trouve dans un repas ritualisé, qui renvoie au dernier repas de Celui qui a librement engagé son existence dans le don de lui-même. Et la taille même des ustensiles choisis conduit à penser à un repas qui dépasse toujours le petit groupe, mais qui annonce le festin ultime de l’humanité tout en exigeant de nous un partage qui est toujours le signe de la maturité humaine.
C’est bien au mystère constitutif de notre vocation que renvoie la « colonne Pascale », en nous interrogeant intimement et, peut-être, en nous aidant à lever les yeux vers ce qui éclaire l’humanité tout en poussant au partage avec ceux qui, pour diverses raisons, se sentent en bas.
Pour terminer, qu’il me soit permis de remercier vivement l’artiste, le Musée d’art contemporain de Lyon et toutes les personnes qui ont permis cette installation dans le parcours lyonnais. Saint-Bonaventure veut ainsi manifester sa disponibilité pour accueillir ce qui peut être signifiant pour tous au cœur de nos hésitations partagées.
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire, recteur de Saint-Bonaventure
Le sanctuaire Saint-Bonaventure, place des Cordeliers à Lyon, est ouvert du lundi au samedi de 8h30 à 19h30 et le dimanche de 9h30 à 13h et de 17h à 20heures. Accès limité pendant les offices.
« Le mardi 19 avril 2011, vers 19h30, alors que l’église semblait complètement vide, un (ou plusieurs) individu(s) ont fait tomber la « Colonne pascale » avec l’aide d’une corde et d’un mousqueton.
La chute a beaucoup endommagé l’oeuvre, mais n’a heureusement blessé personne. Avant que le Musée d’art contemporain soit en mesure de la remettre en place, il nous est donc impossible de vous la montrer, et nous
vous prions de nous en excuser.
L’ensemble de la signalétique et le marquage au sol sont pourtant maintenus, afin de manifester notre vive désapprobation d’un acte violent qui n’a que le courage de l’anonymat. Certes, comme je l’ai écrit à plusieurs
reprises, cette oeuvre suscite légitimement des réactions variées, et donne lieu à beaucoup d’échanges sur les liens entre le christianisme et les différentes formes artistiques. Mais il faut rejeter sans compromis tout ce qui
revient à violenter anonymement l’espace public pour affirmer ses opinions.
L’emploi de la violence et le refus de l’assumer publiquement résonnent étrangement au moment où nous faisons mémoire de la mort et de la résurrection du Christ. L’auteur et ses éventuels complices semblent croire que la brutalité a le dernier mot, ce qui est exactement le contraire de la foi qui nous rassemble, selon laquelle l’amour seul triomphe de la mort.
Je ne puis que souhaiter que le(s) coupable(s) soi(en)t retrouvés et qu’il(s) rende(nt) enfin compte de ses (leurs) actes. C’est uniquement au prix de cette vérité que le pardon est possible. »
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire, recteur de Saint-Bonaventure
Crédit photo : Parcours dans la ville dans le cadre de l’exposition Pascale Marthine Tayou, Always All Ways au Musée d’art contemporain de Lyon (24 février – 15 mai 2011)
Pascale Marthine Tayou, Colonne Pascale, 2010 à l’Eglise Saint-Bonaventure
Courtesy Galleria Continua San Gimignano / Beijing / Le Moulin
© Stéphane Rambaud
© Adagp, Paris, 2011