Que vient faire Dostoïevski à Kaboul ? Deux cultures qui paraissent aux antipodes, et pourtant…
Le roman s’ouvre par le meurtre qu’il commet sur une usurière ayant exploité la femme qu’il aime. Le crime paraît justifié mais, à l’instar de Raskolnikov dont il se ressent comme un double, Rassoul a un très fort sentiment de culpabilité. Dans une société livrée au chaos et aux bombes, qui se soucie de la mort d’une vieille maquerelle ? Rassoul a conscience de sa faute dans un monde où l’assassinat et la torture représentent la norme.
Dans Kaboul, clans et factions se déchirent alors que Rassoul lutte, seul, pour obtenir d’être jugé. Il sacrifie à cette quête d’expiation sa vie et son amour. À tel point qu’il en devient pour un temps muet. Le poids de son silence contre les flux des paroles d’endoctrinement, de condamnations et de haine exprime son incapacité à se faire comprendre. Tous lui sont hostiles et il sera pris dans un tourbillon d’événements qu’il ne maîtrise pas. Comme dans « Synghé Sabour », le silence est un personnage éloquent.
Malgré la noirceur apparente du récit liée à une société sans boussole et sans morale, l’histoire d’Atiq Rahimi porte un espoir de rédemption : même dans l’enfer il reste au moins un juste qui a le sens du mal. Très beau texte au demeurant, dans un français très pur. Parfois on se demande si ce ne sont pas les écrivains étrangers qui sauveront la Littérature française.
« À peine Rassoul a-t-il levé la hache pour l’abattre sur la tête de la vieille dame que l’histoire de Crime et châtiment lui traverse l’esprit. Elle le foudroie. Ses bras tressaillent ; ses jambes vacillent. Et la hache lui échappe des mains. Elle fend le crâne de la femme, et s’y enfonce. Sans un cri, la vieille s’écroule sur le tapis rouge et noir. Son voile aux motifs de fleurs de pommier flotte dans l’air avant de choir sur son corps replet et flasque. Elle est secouée de spasmes. Encore un souffle ; peut-être deux. Ses yeux écarquillés fixent Rassoul, debout au milieu de la pièce, l’haleine suspendue, plus livide qu’un cadavre. »
Marie-Paule DIMET