de Jean-Marc Moutout
France/Belgique, 1h31, 2010.
Sortie en France le 5 octobre 2011.
avec Jean-Pierre Daroussin, Valérie Dréville, Xavier Beauvois.
Une implacable dénonciation des violences au travail, d’autant plus percutante qu’elle est magistralement filmée et que l’acteur Jean-Pierre Daroussin impressionne par sa présence physique.
Après Violence des échanges en milieu tempéré (2003) où un jeune consultant prenait à cœur les licenciements qui lui étaient confiés, Jean-Marc Moutout revient, avec ce nouveau film, dans le monde du travail. Un genre qu’il traite avec une intention aussi forte qu’autrefois Dickens ou Zola lorsqu’ils décrivaient la misère des ouvriers du 19ème siècle européen.
De bon matin : derrière ce titre guilleret se cache un drame très contemporain, la dégradation des conditions de travail. Non pas pour ceux qui sont en bas de l’échelle sociale mais pour ces cadres pressés comme des citrons par des actionnaires qui les jettent dès qu’ils ne sont plus rentables. Paul Wertret travaille depuis 30 ans dans une banque, il a une vie confortable, un métier qu’il aime, des clients avec qui il entretien de vraies relations. Peu à peu, l’entreprise est réorganisée, de nouveaux chefs arrivent (plus jeunes, plus diplômés), avec d’autres méthodes de travail et il faut changer, faire du chiffre. Réaliser peu à peu qu’on a perdu sa valeur.
Pour porter à l’écran la dégradation insidieuse de cet homme ordinaire, Jean-Marc Moutout brouille brillamment la logique temporelle et l’enchainement des petits incidents. Ceux qui sapent l’estime de soi et la stabilité de Paul. Sa vie nous parvient comme une mosaïque fluide où il perd pieds, convoquant les souvenirs anciens, les moments heureux et les humiliations répétées. Evitant de coller de trop près à la dénonciation simpliste d’une situation complexe, le réalisateur se détache d’un récit linéaire et anecdotique pour privilégier la force du ressenti. Le personnage principal est incarné par Jean-Pierre Daroussin, archétype de l’homme ordinaire dont la souffrance physique est palpable à l’écran. Une très belle prestation où les mots sont inutiles tant le corps exprime de nuances.
Dénonciation radicale de la violence de certaines méthodes de travail, De bon matin montre avec subtilité l’invisible escalade qui mène à l’irréparable. Laissant au spectateur le temps de penser et de ressentir des émotions très dérangeantes avec le personnage principal, le film n’explique pas tout, ne donne pas de réponse mais dénonce une situation. Ainsi le silence de la et les visages anéantis des collègues de travail de Paul, dans la dernière scène où Jean-Marc Moutout pose la question de la responsabilité : « C’est un peu une mise en demeure : qu’est-ce que vous allez faire, vous, après ce drame, est-ce que vous allez tenir, est-ce que vous aller plonger, est-ce que vous allez accepter ? Quelle est votre part de responsabilité dans le geste de Paul, dans votre propre vie, dans cette mécanique infernale à laquelle on participe tous ? »
Un très beau film où la forme cinématographique est en parfaite adéquation avec la force du sujet, le choix des acteurs et les partis pris techniques.