« Avez-vous lu Hugo ? »,questionnait Aragon. Voulez vous voir Ruy Blas ?propose Christian Schiaretti .
Double évocation, soigneusement élaborée par le directeur, pour rappeler son engagement : élitaire pour tous, qui lui permet de définir la posture qu’il souhaite avoir dans le théâtre contemporain :un théâtre de répertoire. C’est bien Victor Hugo qui , utilisa ,dans la préface de « Marion Delorme », les termes de national et de populaire, le théâtre qu’en visionnaire, il appelait de ses vœux, deux mots magiques qui devaient installer Jean Vilar à Chaillot, en 1951,puis Roger Planchon à Lyon, en 1972 ,et en 2001,Christian Schiaretti . La date anniversaire du 11 novembre est ici celle de l’ouverture à Paris du premier Théâtre National Populaire, qui ignorait encore le raccourci du TNP, au Trocadero, par le grand Firmin Gémier .Le choix de « Ruy Blas » est à la fois un signe et un pari. De quoi Ruy Blas est-il le nom ? Justement d’un mélange subtil, référence historique, mélodrame , qui tourne à la tragédie entrecoupée de scènes comiques, et laissant la place à une tribune politique à visée sociale et éducative. Le pari est-il tenu ?
L’histoire est connue : nous sommes à la cour d’Espagne, à la fin du 17ème siècle, sous le règne de Charles II ,absent pour cause de chasse ,et dont les billets d’amour sont brefs : « Madame ,il fait grand vent, et j’ai tué six loups ».La Reine, Donia Maria de Neubourg s’ennuie ,dans le huis clos de la cour où ses faits et gestes sont contraints par le protocole ,et le milieu de la cour . La scène inaugurale , d’exposition est rapide et doit être bien comprise, pour comprendre la suite de l’histoire :Don Salluste ,pour avoir engrossé une suivante de la Reine, et avoir refusé de l’épouser, est frappé d’exil. a décidé de se venger et élabore un plan « satanique » :son cousin Don César, reconverti dans la débauche , garde des principes, et refuse de l’aider . Il le fait disparaître ,et ,avant de partir à son tour, il demande à son valet, Ruy Blas ,dans un pacte diabolique de prendre la place de Don César .Le roturier va revêtir les insignes de la noblesse ,avec la charge de gagner l’amour de la Reine pour la déshonorer .Le jeune et brillant valet deviendra l’amant , et le héros d’un changement politique : »Bon appétit messieurs. O ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon de servir, serviteurs qui pillez la maison » La suite sur la scène du TNP ,on ne raconte pas la fin des mélodrames. On peut aussi la trouver dans l’actualité, curieuse correspondance,qui fait sourire le spectateur ,et que Victor Hugo n’avait probablement pas prévu.
Ruy Blas signifie :noble et roturier ,ombre et lumière, oxymore en un seul homme, que la scénographie traduit admirablement : à l’ouverture dans un palais reconstitué avec de splendides azulejos ,sur fond de bleu turquoise, sans autres artifices(plateau nu à la Copeau) se profilent dans la pénombre, de somptueux costumes ,où rien ne manque dans la référence historique ,ni la toison d’or ,ni le signe de l’appartenance à l’ordre royal de la Calatrava , en conformité avec les indications précises de l’auteur . Le noir de la noblesse emprunté peut-être aux notables de Rembrandt contraste avec la blancheur initialement blafarde de la robe de la Reine qui déambule au sein d’un entourage emprunté à Vélasquez. Les personnages principaux sont rapidement repérés par leur démarche : rapide jusqu’à la caricature pour Ruy Blas, majestueuse et lente pour la Reine, précieuse et minaudante pour Don César A travers les portes et le fenêtres qui s’ouvrent et se ferment, rais de lumière segmentent l’espace ,en lien avec la première réplique qui donne à chacun son rang : « Ruy Blas, fermez la porte ,ouvrez cette fenêtre ». Après l’entracte ,un second décor, économie de moyens, avec en fond, un ciel étoilé :le ver de terre amoureux d’une étoile ,dans une concentration de l’espace autour de la cheminée par laquelle apparaitra,mais, gardons la surprise de l’issue du mélodrame,où l’on verra l’image de la Révolution se dessiner,mais j’en ai déjà trop dit.
La scénographie est de Rudy Sabounghi,l es costumes de Thibaut Welchlin, en parfait accord avec la régie la mise en scène très soigneuse de Christian Schiaretti. Jean Vilar préférait le mot de régie.
Le TNP a une troupe , et des invités . Les uns et les autres sont excellents. L ‘harmonie du spectacle tient sûrement en partie de cette familiarité. Nicolas Gonzalès est de la maison, et de la ville,(L’ENSATT),il tient le rôle de Ruy Blas ,initialement porté par Frederik Lemaître, et qu’illustra également Gérard Philippe en 1954,héritage sûrement pesant. Il rayonne dans les longs monologues hugoliens où l’effet de tribune lui permet de donner toute sa puissance vocale. Il joue bien physiquement l’émotion inquiète, de l’amoureux , avant que d’être assuré du retour .Il est d’emblée déjà noble avant que de n’être plus valet , mais c’est peut-être un parti pris ou une impression personnelle .La Reine est une excellente comédienne ,on a pu l’applaudir dans la Jeanne de Delteil ,mais la royauté lui va moins bien que la sainteté. On ne perçoit ni sa grandeur froide, ni par quoi ,en dehors de sa position, elle peut inspirer le désir fou du ver de terre à conquérir l’étoile ,à moins qu’il ne s’agisse de la rencontre de l’ambition et de l’ennui. Robin Renucci campe parfaitement la violence de la colère contenue par la noblesse de son passé, mais dont les forces , nées des profondeurs de l’inconscient se transforment en une détermination ,savamment calculée et diabolique. Il est le directeur des « Tréteaux de France », et emmènera probablement le spectacle en tournée , renouant avec le vieux rêve de Gemier et du Théâtre ambulant. Jérôme Kircher crée véritablement son personnage de l’intérieur, ce qui lui donne une grande cohérence et qui est d’autant plus remarquable qu’il est double : noble et coquin. Il réussit remarquablement la scène dite de la cheminée, que l’on croirait empruntée à Shakespeare. J’ai pensé en le voyant à Pierre Brasseur . Isabelle Sadoyan fait partie depuis longtemps de la maison : dans le rôle de la gardienne des traditions , La Duègne ,elle ne nous donne l’impression de se sentir tellement à l’aise.
Pari tenu ? Pari tenu, vous avez eu raison ,monsieur Schiaretti de revenir à Hugo et de nous le faire aimer, nous ne le connaissions pas ,n’est-ce pas cela la mission d’un théâtre populaire que de nous faire feuilleter le répertoire ,et en re-créant nous donner une véritable récréation .Bon Schiaretti ,Messieurset mesdames ,bien que dans la préface de Ruy Blas Victor Hugo, distingue dans le public, les femmes ,les penseurs ,et la foule proprement ditemais si les préfaces ont un peu vieilli ,les grandes œuvres ,elles ,passent les accidents du temps .
Il faut aller voir Ruy Blas.
Hugues Rousset