D’Arnaud Desplechin
France/Etats-Unis, 2013, 1h53
Festival de Cannes 2013, sélection officielle
Sortie en France le 11 septembre 2013.
avec Benicio del Toro, Mathieu Amalric, Gina McKee
Autour d’une rencontre entre un ancien combattant amérindien et un anthropologue européen, un très beau film sur les blessures de l’âme et la complexité d’une prise de conscience.
De film en film, Arnaud Desplechin arrive encore à nous surprendre et à nous émerveiller. Par l’originalité des thèmes choisis et la subtilité avec laquelle il les traite. Par une mise en scène fluide même dans les situations les plus complexes et, ici plus que dans ses autres films, par une attention particulière apportée aux paysages, servie par l’excellent travail du directeur de la photographie, Stéphane Fontaine. Arnaud Desplechin a eu raison d’aller se confronter aux grands espaces d’Amérique du nord.
L’action du film se déroule aux États-Unis, juste après la fin de la Deuxième guerre mondiale. L’acteur américain Benicio Del Toro interprète un Indien, Jimmy Picard, ancien combattant démobilisé avec des maux de tête et des pertes de la vision, suite à une blessure en Europe. Les médecins sont démunis pour trouver la cause réelle de ses souffrances. Un psychiatre fait appel à l’expertise de Georges Devereux, anthropologue européen spécialiste des Indiens et interprété par Mathieu Amalric.
Au cœur du film, il y a la rencontre entre ces deux hommes. Jimmy est enfermé dans son mal-être physique. S’il sait lire et écrire, il sait aussi que seul le passage par l’armée lui a permis de dépasser le racisme ordinaire qui sévit encore vivement aux Etats-Unis. Face à lui, un homme blanc mais non-Américain, qui connaît très bien les coutumes et la langue des Indiens. Qui lui pose des questions que personne ne lui avait jamais posées et lui parle avec respect. Sans cesse sous nos yeux, les conversations entre les deux hommes oscillent entre l’analyse strictement médicale et la naissance d’une relation profonde, mélange d’amitié, d’admiration et de curiosité. Entre l’exubérance de Georges Devereux qui parle avec naturel des sujets les plus délicats ou les plus intimes et l’enfermement de Jimmy, on se demande parfois quel est le plus fou des deux. Georges connaît sa folie et sait vivre avec, Jimmy apprend peu à peu que les maux du corps traduisent les blessures de l’âme.
Avec une intelligente utilisation des retours en arrière et des rêves, incrustés dans la chronologie de la narration, Jimmy P., psychothérapie d’un Indien des plaines est un film fluide et lumineux. Les conversations entre les deux protagonistes principaux alternent avec des moments plus légers et d’autres personnages font des entrées discrètes mais nécessaires pour donner du corps à tout l’ensemble. Il y a aussi des échappées extérieures, dans des paysages où le spectaculaire renforce la gravité des questionnements soulevés par cette thérapie. L’atmosphère de l’époque est bien rendue sans qu’on soit gêné par la trop prenante reconstitution des décors. Tous les personnages qu’on rencontre ont, pendant la guerre, vécu des moments très difficiles. Et l’élégance avec laquelle ils savent tenir à distance leur souffrance, on la retrouve jusque dans leurs vêtements.
Les thèmes soulevées pendant les conversations entre Jimmy et Georges sont nombreux et interpellent directement le spectateur : les cauchemars récurrents, le poids des traditions, les réminiscences d’une culture ancestrale, les blessures de l’enfance et les lâchetés de l’âge adulte. On analyse le corps avec des données scientifiques, on révèle la conscience en nommant l’inconscient. Jimmy P., psychothérapie d’un Indien des plaines n’est pas l’histoire d’une guérison mais plutôt d’un cheminement permettant à un homme d’entrevoir un autre univers. En prenant conscience de la culture indienne dont il est issu, et en se souvenant des événements qui l’ont façonné, Jimmy apprend à se connaître et à s’accepter.
Dans les films de Desplechin, où les dialogues sont si importants, le corps dit ce que les mots ne savent pas exprimer : névrose, cancer, chute, malaise. D’où l’importance physique des acteurs. Ici, le grand corps massif de Benicio Del Toro pour exprimer la chair tourmentée d’une âme lacérée face au petit gabarit de Mathieu Amalric, elfe incontrôlable et volubile. Un grand moment de cinéma !