de François Dupeyron
France, 2013, 2h04
Festival de San Sebastian 2013, sélection officielle
Sortie en France le 25 septembre 2013.
avec Grégory Gadebois, Jean-Pierre Daroussin, Marie Payen, Céline Salette.
Et toi, qu’as-tu fait de ton talent ? Un homme d’aujourd’hui, confronté au manque d’amour et au chagrin, se pose cette question.
Le dernier film de François Dupeyron est à l’image de son titre, à la fois énigmatique et très clair. Il est question de corps en souffrance – jambes lourdes, migraines, saignements – qui quémandent une guérison. Très vite, on se rend compte que ce sont surtout les âmes qui souffrent. Le réalisateur n’a pas peur d’utiliser ce mot que ses confrères semblent éviter. Les personnages ont une âme, elle souffre souvent et appelle à l’aide. Ici, pas de concept intellectuel mais des croyances simples, Dieu ou pas Dieu. Mais à la légère, comme les blagues de comptoir où on ne sait pas vraiment s’il faut rire du « Quoi ? » de Joseph à Marie. Face aux mystères, on ne sait pas. L’amour non plus, on ne l’explique pas, ni lorsqu’il s’en va, ni lorsqu’il arrive.
L’acteur Grégory Gadebois donne au personnage principal, Freddy, tout son poids, au propre comme au figuré. Un corps massif, une force tranquille, une inquiétude bien tenue en laisse, une pudeur que le chagrin de ceux qu’il aime arrive à peine à bousculer. Freddy est un gentil, « un ange » disent certains, qui ne sort de ses gonds que lorsqu’il ne maîtrise plus sa douleur. A la mort de sa mère, Freddy a reçu un don, celui des mains qui guérissent. Don dont il ne sait que faire parce que sa propre souffrance lui suffit. Comment faire face au chagrin des autres quand on sait à peine exprimer le sien ?
Comme Freddy, le film est très pudique. La grande violence, comme les scènes sexuelles ou les effondrements, restent hors champ. François Dupeyron suggère, n’impose rien, laisse les événements s’installer, comme dans la très belle première scène entre Freddy et son père (Jean-Pierre Daroussin, toujours juste). En quelques phrases anodines échangées entre eux, tout le contexte se met en place, émotions et larmes retenues, distance qu’on regrette, environnement social. On entre avec eux dans le récit.
L’histoire se déroule sur la Côte d’Azur, une Côte d’Azur sans touriste, hors saison, où des gens ordinaires vivent dans des caravanes et, lorsqu’ils vont à la plage, c’est pour pêcher du poisson, courir dans le sable, pas pour se baigner. La très belle photo d’Yves Angelo, le directeur de la photographie, utilise au maximum la lumière naturelle pour jouer avec les éblouissements, ceux qui nous aveuglent et ceux qui nous révèlent. C’est aussi cette lumière qui redonne de la dignité aux petites gens, qui empêche le sordide de les miner et tient le vulgaire à distance. Ils baignent dans un scintillement lumineux où la grâce n’est jamais loin. Comme souvent dans ses autres films, les personnages de François Dupeyron sont des hommes et des femmes ordinaires qui agissent à contre courant de l’égoïsme et de la brutalité du monde dans lequel ils vivent. La fiction, la mise en scène et le regard particulier du réalisateur en font des héros.
Le film ne résout pas toutes les questions qu’il soulève et l’ambiguïté du titre perdure jusqu’au bout. Le don d’apaiser les souffrances des autres est un talent qui ne s’explique pas. Au spectateur de décider qui a été guéri. Freddy, en acceptant de sortir de son enfermement et de s’occuper des autres, retrouve goût à la vie. Mon âme par toi guérie tricote la souffrance des corps et le salut des âmes. La vraie question que doit résoudre Freddy – et que nous pose François Dupeyron – est celle des Evangiles : Et toi qu’as-tu fais de tes frères ?