En préambule je voudrais évoquer mon souhait, comme délégué diocésain « arts, cultures et foi » de pouvoir me retrouver au plan national avec les autres délégués. Je suggérais à Mgr Wintzer que l’an prochain à la place d’un colloque, l’observatoire soit organisateur de cette rencontre nationale. Il m’a répondu que cela n’était pas dans les attributions de l’observatoire, mais qu’il fallait reprendre cette question avec « Narthex » ou « L’art sacré ». C’est peut-être possible à condition que le dialogue foi et culture y ait toute sa place. Les univers culturels aujourd’hui sont tellement divers et disjoints qu’ils n’entrent plus en contact les uns avec les autres. Je crois que nous aurions beaucoup à nous apporter les uns et les autres à confronter nos points de vue, ainsi que les projets et réalisations au sein de nos diocèses.
En introduction au colloque Mgr Wintzer rappelait que par la beauté, on veut servir l’espérance des hommes. L’une des questions que posent les œuvres d’art, et que reprendra JL Marion, est qu’elles deviennent des réalités qui n’ont de références qu’elles mêmes. C’est le regardeur qui fait l’œuvre.
Philippe Malgouyres, conservateur au Louvre s’interroge : l’art contemporain de qui ? Comment comprendre cette caractéristique du temps actuel ? Nous reconnaissons bien dans les œuvres anciennes des éléments novateurs. Il pose lui aussi la question de l’autoréférence, l’artiste étant le seul à posséder les clés de ce nouveau langage inventé par lui.
Philippe Sers, professeur aux Bernardins se demande lui comment former le « regardeur-auditeur » à l’attention devant une œuvre d’art, car la culture moderne et contemporaine offre de nombreuses pierres d’attente pour le progrès spirituel. Il va jusqu’à dire que l’art est appelé à jouer dans l’anthropologie ce que les mathématiques furent pour les sciences pratiques de l’ingénieur, à savoir une expérience sensible et décisive de la vérité. L’œuvre d’art, dit-il, débouche sur le dialogue, elle est invitation à un cheminement partagé, partage de la rumination des choses et du sens.
Jean-Luc Marion a pour son intervention repris ses catégories d’idole et d’icône. L’idole définit la peinture par le « je » regarde, « je vois le visible ». La peinture présente, produit du visible jusque là « in vu ». Les peintres marquent ainsi leur époque en en mettant « plein la vue ». Pour JL Marion la peinture est idolâtrique quand elle reflète mon désir de voir. L’iconoclasme fait partie de la pensée chrétienne : toute image de Dieu est image de nous.
Le modèle de l’icône est lui christologique. Christ est l’icône du Dieu invisible dit St Paul. Regarder dans les yeux, c’est voir si l’autre vous regarde. Le regard fait partie du visant pas du visible. L’icône est ce qui nous vise. Le regard nous regarde. L’icône est un visage inversé du visible. Christ est l’icône, il est le lieu du regard de Dieu sur nous.
JL Marion se demande ensuite ce que signifie cette manière de parler quand on dit : « c’est le regardant qui fait l’œuvre ». L’art moderne, dit-il, a renoncé à la définition académique du beau. Nous sommes dans un moment nihiliste de l’art quand nous sommes dans un système institutionnel d’auto-évaluation, quand nous disons que c’est nous qui décidons des critères, alors l’art devient une valeur « en soi » aliénée. Il n’est pas vrai que c’est le regardant qui décide, « il faut que cela vienne d’ailleurs ». Et le blasphème devient une sorte de performance qui n’est portée ni par la beauté, ni par le public, cela fait « bulle spéculative ». Et de conclure en soulignant que l’art contemporain renvoie à une problématique qui est liturgique car la particularité de la situation liturgique est d’être confrontée à un autre que soi-même.
Michel Farin nous a proposé ensuite un regard théologique sur le cinéma contemporain à partir d’extraits du film de Clint Eastwood « Gran Torino ». Invitation pour chaque spectateur à toujours garder ce double mouvement, une interrogation sur ce qui vient de m’être montré et une autre interrogation sur les images qui vont valider mon interprétation. Ce sont ces images, à travers des présences singulières, qui me font atteindre la profondeur du réel.
Mgr Di Falco-Léandri, évêque de Gap-Embrun nous a ramenés à notre thématique du dialogue difficile entre l’art contemporain et la foi en partant de ce qu’il a vécu dans son diocèse lorsqu’il a exposé pour la semaine sainte dans la cathédrale de Gap une œuvre de l’artiste anglais Paul Fryer représentant un Christ sur une chaise de souffrance. Des personnes se sont empressées de faire remonter leurs critiques jusqu’à Rome. S’en suivit un échange de lettres quelque peu surréaliste. « La congrégation pour le culte divin s’étonne » Elle fait remarquer à l’évêque son « ton peu approprié pour la correspondance avec un dicastère ! ». Il n’est donc pas simple, pas plus pour un évêque que pour les services diocésains « arts, cultures et foi » de faire entendre que l’art est un miroir de la société dans laquelle nous sommes. Et que c’est un devoir pour les pasteurs, d’aller au cinéma, d’aller voir des expositions pour connaître cette société au plus profond de ce qu’elle vit, avec ce qui peut nous déranger et nous révolter.
Laurence Cossé, écrivain, prenant la parole ensuite rajoutait que c’est aussi un devoir pour les pasteurs de lire des romans, qu’il y a aujourd’hui une littérature de grande portée spirituelle. Nous vivons une époque de « malbouffe de l’esprit ». Son travail d’écrivain la porte à chercher la justesse dans la forme qui quelquefois « vous traverse et vous touche par grâce ».
Je vous recommande la lecture de son livre « Le coin du voile » en édition Folio.
Toutes ces interventions seront publiées d’ici quelques mois, comme chaque année aux éditions « Parole et silence »
Gilbert Brun
Arts, cultures et foi