de David Oelhoffen
avec Viggo Mortensen et Reda Kateb.
Français (1h41).
Prix Signis Festival de Venise en 2014.
Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon
Novembre 1954 dans l’Est de l’Algérie sur le plateau des Aurès. Daru, est instituteur pour de jeunes arabes. La gendarmerie, débordée par les traques qu’elle doit mener contre les rebelles, lui demande de conduire Mohamed, (jeune berger accusé du meurtre de son cousin) à la ville à plusieurs jours de marche pour jugement.
D’abord réticent, Daru s’exécute. Une longue marche harassante, dans la montagne aride va conduite les deux hommes aux portes de la ville. Mais ce long périple va surtout les amener à une confrontation à la loi ancestrale (payer son crime ou être jugé) et aux nouveaux rapports de force qui commencent à s’instaurer en cette année 54 entre les colons, l’armée française et les « rebelles ».
Le film est tiré d’une nouvelle d’Albert Camus mais David Oelhoffen en fait un long poème visuel et méditatif sur le sens de l’engagement, la loi des armes, les liens que tissent peu à peu ces deux hommes. Un Western lent et émouvant qui peut se hisser au niveau d’un film de John Ford
Tout au long du chemin, leur route va croiser celles des rebelles (et Daru se verra acculer à tuer) les colons et l’armée. Daru, ancien combattant de la 2ème Guerre mondiale ne peut supporter la violence d’un jeune lieutenant du contingent abattant deux rebelles déposant les armes… « On ne tire pas sur des soldats qui se rendent » lui dira-t-il..
Lui, fils d’émigré espagnol, découvre qu’il n’est plus accepté sur la terre qui les avait accueillis en 1936 : « Pour les français alors, on était des arabes ; maintenant pour les arabes, on est des français » !
Leur marche est harassante et bien rendue par des plans en diagonale accentuant leur effort. Face à l’immensité minérale du massif des Aurès, les silhouettes des deux hommes se dessinent le soir, au soleil couchant, en ombres allongées. On sent l’âpre réalité du pays en proie à une guerre fratricide. Le danger est présent à chaque détour du chemin. Et ces craintes permanentes vont renforcer les liens des deux hommes au point que c’est le compagnonnage humain voire spirituel entre eux qui peu à peu capte l’attention.
Les deux acteurs, Viggo Mortesten (Daru) et Reda Kateb (Mohamed) sont magnifiques d’intériorité.
Daru va peu à peu amener Mohamed à repenser cette loi du sang qui l’oblige à se livrer et à mourir. Il lui dit de fuit vers un monastère pour y être accueilli..Y arrivera-t-il ?
Lui, reviendra vers son école mais pour dire au revoir à ses élèves. Il a compris que sa vie ne pourra plus se passer seul sur le plateau : les évènements vont s’accélérer, la guerre entre colons et rebelles aura raison de son utopie fraternelle.
Les dernières paroles échangées entre Daru et Mohamed sont celles d’une prière, malgré l’implacable réalité de la guerre. En invoquant tous deux leur Dieu, ils disent l’un après l’autre :
Sois au Créateur, Il sera à toi.
Demande-Lui et Il te donnera.
Offre-Lui et Il t’offrira.