Chroniques cinéma – « Taxi Téhéran »

de Jafar Panahi

avec Jafar Panahi. (Comédie dramatique Film Iranien. 1h22).

Ours d’or au Festival de Berlin 2015.

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Interdit de tourner dans son pays pour une durée de 20 ans, l’iranien Jafar Panahi établit le tour de force de réaliser un film dans un taxi : c’est la force du cinéma, de l’imagination contre l’obscurantisme d’une dictature. Du courage, de l’émotion et un immense talent

C’est un film comme on en voit peu : tourné entièrement dans un taxi, conduit par Jafar Panahi lui-même, Taxi Téhéran peint la rencontre, le dialogue du réalisateur avec une quinzaine de « clients »transportés dans son véhicule à  travers les rues de Téhéran. Trois petites caméras installées dans l’habitacle filment en permanence et permettent des angles de prises de vues différents.

On ne sait jamais si ce sont des acteurs ou si les personnages embarqués sont de vrais clients. Mais c’est la force de Jafar Panahi, de montrer à  travers une fiction, la réalité de l’Iran : les empêchements à  la liberté, l’interdiction d’exercer son métier, les pressions subies par la population.

Sa galerie de portraits est tout sauf misérabiliste et désincarnée : c’est le petit trafiquant de DVD prêt à  l’embobiner, ce sont deux vieilles femmes superstitieuses et désopilantes avec leur poisson rouge et qui le houspille, c’est sa petite nièce qui n’arrête pas de le filmer pour réaliser dit-elle, un film « diffusable » ! Plus loin, il prend en charge un ami qui s’est fait tabassé et qui connaît son agresseur, une amie avocate interdite de plaider et emprisonnée elle aussi. Il s’agit de Nasfin Sotoudeh, avocate et militante des droits de l’homme en Iran. Et le sourire de cette femme surveillée, est désarmant de gentillesse. Lui-même ne se sent pas en sécurité. Il croit souvent entendre la voix de celui qui l’a arrêté.

On sent physiquement l’angoisse et la peur encercler le taxi. L’emprisonnement s’insinue dans toutes les têtes, même en dehors du pénitencier. Cet homme qui monte dans le taxi, le visage ensanglanté a-t-il eu réellement un accident? La dernière séquence nous laisse médusés. Est-ce la réalité du pays qui envahit la fiction du film ? Ou bien cette réalité là  était la raison même du film ?

Ou est la vérité dans ce pays où l’Etat demande de filmer le côté radieux, positif de la société (?) sous peine de ne rien pouvoir tourner, ni diffuser..

Mais on aura beau arrêter, emprisonner, assassiner, le courage, la liberté d’expression, (un mot qui prend tout son sens ici), le talent des cinéastes et la force des images trouveront toujours des chemins pour se faufiler et rencontrer le public. Il y aura toujours un téléphone portable, une petite caméra, une caméra vidéo pour capter la réalité que les dictateurs veulent masquer.

Jafar Panahi aime le cinéma plus que tout : C’est en toi dit-il à  un jeune cinéaste en herbe de trouver ton sujet. Pour lui, c’est une question de vie, de survie.

Et pour nous l’occasion d’assister à  une grande et belle leçon de cinéma.

Taxi Téhéran a obtenu l’Ours d’Or au Festival de cinéma de Berlin en février 2015.

[->http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19551971&cfilm=234644.html]

Pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés