Le film «Histoire de Judas », de Rabah Ameur-Zaïmeche, sorti à la mi-avril, ne sera peut-être plus projeté à Lyon lorsque cet éditorial paraîtra. Ce n’est pas un film grand-public, sa diffusion est restée discrète, et les spectateurs ne se bousculaient pas dans les quelques salles où il était projeté. Les chrétiens se sont sans doute montrés plus intéressés que d’autres, en raison de son titre. Ils espéraient peut-être y découvrir la véritable histoire de l’apôtre qui trahit Jésus. Si tel est le cas, ils en furent pour leurs frais, car l’histoire racontée est fort éloignée de la réalité historique. Mais c’est un bon film, peut-être même un grand film.
Il a été tourné dans un village en ruines proche d’Annaba (anciennement Bône), en Algérie, un décor qui ne ressemble aucunement aux collines de Judée : des palmiers souvent trop secs se balancent sous un vent fort et bruyant, l’environnement est beaucoup plus minéral que dans les environs de Jérusalem, aucune construction n’est intégralement debout.
Les personnages principaux sont trois hommes et une femme. Cette dernière, appelée Suzanne dans le film, est celle qui versa un parfum de grand prix sur les pieds de Jésus. Jésus lui-même est un homme de haute taille, attentif à tous et fascinant ; de lui se dégage une grande autorité naturelle. Judas est avide de s’instruire, il est présenté comme le disciple qui fut le plus proche de Jésus – les autres apôtres ne sont que des ombres -, et il protège jalousement cette proximité.
Le réalisateur a ajouté un troisième personnage au nom soigneusement travaillé, un dénommé Carabas dont le nom, identique à celui du personnage du Chat botté, fait inévitablement penser à Barabbas ; c’est une sorte de prophète marginal habillé de guenilles, affligé d’un strabisme divergent prononcé, vivant de rien, vitupérant contre les pouvoirs en place, tant celui des grands-prêtres juifs que celui des romains.
La première scène se passe dans une maison isolée en plein désert ; Judas vient y chercher Jésus qui a passé quarante jours en ermite, pour qu’il commence enfin sa tournée de prédication. La dernière scène ou presque se passe dans le tombeau où Jésus a été inhumé et où son cadavre, au matin de Pâques, n’est plus. Les quelques scènes évangéliques évoquées (principalement entre les Rameaux et Pâques) sont toutes présentées de façon décalée. Un exemple significatif : lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem le dimanche des Rameaux, il porte un ânon dans ses bras au lieu que ce soit un ânon qui le porte. Et tout est à l’avenant.
Le réalisateur a usé de beaucoup de liberté par rapport à l’histoire, en s’inspirant en partie d’un écrit apocryphe connu dans une version en langue copte, découvert en Égypte à la fin des années 1970, sans doute composé vers le milieu du 2ème siècle de notre ère, appelé Évangile de Judas. Sa publication en 2006 a été remarquée dans les milieux scientifiques. Judas y est présenté, non pas comme un traître mais, au contraire, comme le disciple le plus attaché à Jésus, qui organisa sa mort avec l’accord du maître, car le monde matériel est perçu comme si mauvais qu’il vaut mieux le quitter le plus tôt possible. Cette vision négative du monde matériel a existé dans l’Antiquité, dans des courants minoritaires appelés « gnostiques ». L’amitié privilégiée entre Jésus et Judas est reprise dans le film, mais l’idéologie gnostique de l’Evangile de Judas ne l’est pas. Dans le film, Judas ne joue aucun rôle dans l’arrestation de Jésus ni dans sa mise à mort. Il est son ami du début à la fin, loyal jusqu’au bout.
Il faut situer ce film dans un courant artistique très représenté aujourd’hui, notamment dans le domaine littéraire, qui consiste à écrire des fictions mettant en scène des personnes ayant réellement existé. Ce n’est pas de l’histoire, c’est l’histoire telle qu’elle aurait pu être.
Si l’on voulait corriger le titre du film, on l’appellerait sans doute « Une histoire de Judas » avec un article indéfini : une histoire possible, possible au milieu de beaucoup d’autres, mais qui n’a pas grand rapport avec ce qui se passa effectivement. Cela n’en fait pas un mauvais film, bien au contraire. L’opinion des critiques a été assez divisée au moment de sa sortie. Personnellement, je l’ai trouvé esthétiquement beau, un peu obsédant – notamment en raison des scènes d’intérieur très sombres et de ce vent qui ne s’arrête jamais -, optimiste en raison des liens d’affection et d’amitié qui règnent entre les personnes et qui ont valeur rédemptrice.
Il a reçu le prix du Jury œcuménique au Festival de Berlin, en février 2015. C’est une récompense bien méritée.
Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire