« Je ne pense plus voyager »
François Sureau
La mort de Charles de Foucauld dont on commémorera le centenaire en décembre 2016 est le point de départ du récit de François Sureau « Je ne pense plus voyager ».
Avocat, écrivain, poète, François Sureau s’intéresse à la conversion, surtout quand elle est radicale. Après « Inigo », sur la conversion d’Ignace de Loyola, il relit celle de Charles de Foucauld. Les premiers chapitres du livre peuvent rebuter le lecteur. Ecrits sur le ton d’un procès-verbal, François Sureau le juriste retrace les circonstances de cette mort qui gardera une grande part de son mystère. En 1945, l’officier Florimond reprend l’enquête après l’arrestation de Madani, complice des assassins de Charles de Foucauld. François Sureau s’attarde sur la personnalité de cet officier qui choisit de vivre dans le désert trente ans après la mort du saint, abandonnant toutes velléités d’avancement dans sa carrière militaire. Un homme dont l’humilité, la modestie, l’effacement rappellent Charles de Foucauld et semblent le prédestiner à cette enquête. Pourtant l’interrogatoire du traître n’apporte pas d’éléments déterminants quant à la vérité sur cet assassinat : « Le reste a dû sembler aussi obscur à Florimond qu’à nous-mêmes aujourd’hui ». Pour François Sureau l’essentiel n’est pas là . C’est l’homme, Charles de Foucauld qu’il recherche. Son itinéraire, son chemin de conversion, chemin de Croix et chemin de vie. « Du royaume du passé le diable est le seigneur. » Charles de Foucauld commence sa vie en enfer. Son père devient fou et sa mère, pieuse et neurasthénique, meurt prématurément. Livré à la tutelle de son grand-père, gâté par la richesse, il s’ennuie. « Pas d’homme qui ressemblât moins à Ignace de Loyola, tout épris d’un honneur impossible Charles de Foucauld n’était pas Don Quichotte, seulement un vieil enfant bien élevé, maltraité par la vie et guetté par la tristesse. »
Sa conversion, si elle est aussi radicale que celle d’Ignace, a été moins rapide, empruntant des chemins détournés. La première étape fut la rencontre avec les Touaregs. Ils ont exercé sur Charles de Foucauld une véritable fascination par leur mode de vie, leur culture plus particulièrement la poésie pour laquelle il a réalisé une recension. Mais c’est surtout leur Foi qui le touche, à tel point qu’il a été tenté de se convertir à l’Islam. « La piété musulmane le bouleverse » écrit François Sureau. C’est peut-être par l’Islam que le désir de Dieu est entré dans son cœur. A la Trappe de Notre-Dame des Neiges où « il s’est dépouillé de ses derniers liens » ce fut pourtant l’expérience d’une grande désillusion spirituelle. « Foucauld a souffert, ces années-là , de ce qui est le plus déroutant en matière de religion, la prétention de détenir la vérité. »
La vie monastique, même dépouillée est encore trop riche pour lui. Car il veut «embrasser la vie de Nazareth ».C’est Jésus de Nazareth qu’il veut suivre, le Jésus de la vie cachée, qui travaille. Et c’est « une pauvreté semblable à celle de Nazareth qu’il recherche, « une vie pauvre et surtout cachée ».
Il en fait ainsi l’expérience chez les Clarisses de Nazareth en qualité de jardinier. « Le temps de Nazareth ressemble à une retraite au seuil de ce monde nouveau, où, libéré de bien des choses et d’une partie de lui-même, il pourra enfin pénétrer. »
Appartenir aux « serviteurs de l’inutile. » La dernière étape n’est plus celle d’une conversion mais de l’accomplissement spirituel. Sa dernière étape ou station, puisque François Sureau donne à cette partie le titre de « stations du chemin », sera ce fortin dans un désert minéral. « Cette aventure-là , Foucauld n’a pas imaginé pouvoir la vivre seul. » Son désir était d’être rejoint par une communauté mais personne ne vint, personne ne répondit à son appel.
Foucauld n’a donc pas créé d’ordre religieux ni converti de Touaregs. Au contraire, il a voulu « les aider à accroître leur connaissance de Dieu. » On pense aux moines de Tibbirine qui ont aidé leurs voisins musulmans à approfondir leur Foi. Eux aussi assassinés.
Sans doute est-ce là le véritable sens de l’Amour absolu, loin de la réussite et de la reconnaissance, fusse-t-elle de la religion. Une spiritualité de l’inutile dont on a bien besoin aujourd’hui dans un monde obsédé par la performance.
Marie Paule Dimet