David Diop
Frère d’âme
Roman – Editions du Seuil – 2018 – 176 pages.
Il est difficile de retrouver parmi les livres de la rentrée dite littéraire, celui dont la lecture vous apparaîtra comme une urgence.
J’étais attentive cette année à ce qui pouvait paraître sur la Première Guerre Mondiale, commémoration du centenaire oblige. En effet, le service Arts, Cultures et Foi proposera une rencontre littéraire le 12 novembre à la chapelle de l’Hôtel-Dieu, à partir de textes et documents de cette époque.
Mais la force de la littérature c’est son renouvellement perpétuel. Après les récits des témoins, comment un écrivain actuel peut-il, cent ans plus tard, se réapproprier une tragédie digne de l’Antiquité ?
C’est en cela que le regard nouveau de David Diop, dans son roman Frère d’âme paru récemment, est passionnant.
David Diop, né à Paris, a grandi au Sénégal. Avec ce roman, il introduit un personnage oublié de la guerre de 14/18: le tirailleur sénégalais. Frère d’âme est l’histoire de deux amis africains, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, nés dans une colonie française qui s’appelait à l’époque Afrique Occidentale Française.
A l’âge de quinze ans, nous avons été circoncis le même jour. Nous avons été initiés aux secrets de l’âge adulte par le même ancien du village. Il nous a appris comment se conduire. Le plus grand secret qu’il nous a enseigné, est que ce n’est pas l’homme qui dirige les évènements, mais les évènements qui dirigent l’homme.
Alfa Ndiaye est le narrateur.
Dans la tranchée, je vivais comme les autres, je buvais, je mangeais comme les autres. Je chantais parfois comme les autres.
Mais la mort au combat de son « ami plus que frère » Mademba va le bouleverser complètement, à tel point qu’il va devenir fou. C’est alors qu’intervient dans le récit, la mystique africaine.
Si Alfa Ndiaye devient fou, c’est parce qu’il est resté aux côtés de son ami agonisant qui le suppliait de l’achever, et n’en a rien fait par respect des obligations morales et religieuses reçues du marabout.
Pour ne pas contrevenir aux lois humaines, aux lois de nos ancêtres, je n’ai pas été humain, et j’ai laissé mourir Mademba, mon plus que frère, mon ami d’enfance, mourir les yeux pleins de larmes, la main tremblante occupée à chercher dans la boue du champ de bataille ses entrailles pour les ramener à son ventre ouvert.
Alfa Ndiaye, en raison de comportements de plus en plus étranges, sera envoyé à l’arrière par son capitaine pour se faire soigner. Pour ses frères africains, il est devenu un « dëmm », un « dévoreur d’âmes », il fait peur à tous. Il est alors repris par son histoire africaine, à tel point qu’à la fin du roman les deux personnages, Alfa Ndiaye et Mademba Diop se confondent.
Le roman nous invite à une réflexion sur la sauvagerie de la guerre. Le narrateur africain dit ne pas comprendre pourquoi il faut se comporter en sauvage en sortant de la tranchée, pour redevenir « normal » au retour. Il montre également le choc culturel qu’a été cette guerre pour les tirailleurs sénégalais. Cela ne les a pas empêchés de devenir « frères d’armes » des Poilus français, comme le montre la belle histoire d’amitié du narrateur avec Jean-Baptiste, mais pas « frères d’âme » car leur âme était restée en Afrique.
Marie Paule Dimet.
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David Diop
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Sur le site des Editions du Seuil, une courte vidéo où David Diop présente son livre:
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