Un film d’Antoine Russbach – Suisse – 2018 – 1 h 42
Ce premier long-métrage du jeune réalisateur suisse Antoine Russbach (Né à Genève en 1984), constitue le volet numéro un d’un triptyque, auquel viendront s’ajouter au cours des années à venir, deux films aux titres déjà trouvés, à savoir Ceux qui combattent et Ceux qui prient.
Ceux qui travaillent… Titre évidemment paradoxal, puisque le film nous raconte l’histoire d’un cadre supérieur brutalement réduit à l’état de chômeur.
Ce Franck, brillamment interprété par Olivier Gourmet, travaille sur les bords du Léman, à Genève, dans une société de fret maritime, au sein de laquelle il occupe la position à priori très enviable de responsable logistique, réglant, sans jamais les voir, les déplacements de navires porte-conteneurs sur les mers et les océans du monde entier.
Jusqu’au jour où une prise de décision aussi malheureuse que tragique, va le conduire à se voir brutalement licencié, quittant les bureaux « open space » de l’entreprise avec quelques objets personnels, et le superbe fauteuil qu’il avait si adroitement monté après l’avoir reçu en pièces détachées.
Le film va suivre la nouvelle trajectoire de la vie de Franck, maintenant sans travail, alors qu’une journée sans travail était, comme il le dira, une journée inimaginable.
Inimaginable également pour Franck, la décision de faire l’aveu de cette situation à sa femme et à ses cinq enfants, installant alors mensonges et dissimulations, tout en ayant conscience que cette situation ne pourra pas s’éterniser.
Le film alterne alors des séquences où l’on voit Franck en famille, et des moments où on l’accompagne dans sa recherche d’un nouveau travail. La narration adopte une sorte de nonchalance à l’image de la nouvelle vie de Franck, où le blouson de cuir et le polo Lacoste à col ouvert remplacent le costume-cravate du cadre supérieur arrivé.
Alors que l’épouse, mère au foyer, est souvent absente du récit, à l’exception d’une courte séquence chargée d’émotion, c’est la plus jeune fille de Franck, une douzaine d’années environ, qui s’installe au premier plan, et qui va se présenter comme un révélateur de décisions à prendre, une bouée de sauvetage pour ne pas sombrer.
Une des originalités du film tient au fait que le personnage de Franck n’est pas d’une seule pièce. Il contient en lui tout à la fois la fragilité d’un homme défait, lui le décideur, maitre de sa vie et de son travail, et une véritable volonté de rebondir, peut-être au prix d’un grave reniement.
Le film d’Antoine Russbach nous interroge sur le sens du travail, sur les entorses à la morale et à l’éthique que l’on peut s’autoriser pour le conserver. Il nous dit aussi de belles choses sur la famille, sa force, mais aussi sa fragilité quand elle se retrouve face à une situation de crise.
L’esthétique du film est celle d’un cinéma très classique, où le réalisateur sait prendre son temps, étirant parfois certaines séquences, insistant sur les silences qui en disent souvent plus long que de grands discours.
Et dans l’art de gérer le silence et d’exprimer des sentiments par des mouvements du corps et des expressions du visage, Olivier Gourmet est une fois de plus exemplaire.
Au cinéma, il existe deux moments souvent difficiles à gérer, et pas toujours réussis: le début du film, qui lui donne sa tonalité, et qui doit susciter et aiguiser la curiosité du spectateur, et sa fin, d’autant plus réussie qu’elle soulève plus de questions qu’elle ne donne de réponses.
A ce titre, la fin de Ceux qui travaillent est une parfaite réussite, contenue dans un long plan fixe, dans un silence presque complet, séquence rassemblant Franck et toute sa famille. Et cela juste après que Franck ait apposé une signature au bas d’un contrat de travail. Signature ouvrant un avenir très lourd, chargé de tous les dangers et de toutes les incertitudes. Incertitudes pour Franck. Incertitudes pour sa famille….
Pierre Quelin.
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