Un père et ses enfants. Sa fille, surtout. Il refait sa vie et laisse les siens. Il les abandonne cependant sans cesser de revendiquer qu’elle continue de s’intéresser à lui. Même dans sa nouvelle vie, il a besoin de recueillir elle l’admiration auquel il exige avoir droit.
Qui a mérité qu’on l’aime, y compris quand il a été abject ? A moins que l’on ne soit jamais autant abject que lorsque l’on ne comprend pas que l’on ne mérite rien, que la vie n’est pas une question de rétribution, de mérite. Soit l’on échange gracieusement, soit l’on fait des liens familiaux ou amicaux un esclavage.
Le père ne peut exiger que de celle qui entre dans son jeu. La fille aussi entretient la relation aliénante L’amant, lui, s’en protège ; il accompagne, soutient, se décourage parfois. Un amour qui guérit ou du moins apaise, assumant ses failles, reconnaissant ses fragilités. Il ne peut pas tout. Il n’est pas le thérapeute ; il se garde d’entrer dans une relation du devoir.
Une réflexion sur le mérite ne pouvait que poser aussi la question de la religion, du sens d’une conversion, du mensonge mais aussi de ce qui, à travers les traditions, tente de se dire d’humanité.
Exister, c’est toujours exister pour l’autre, devant l’autre. Comment dès lors apprendre la liberté d’être soi, différent, séparé ? Tâche plus ardue encore lorsque l’autre, père, mère, époux, etc. se pense soleil autour duquel tout doit tourner. Il, elle s’est tellement dévoué, a tout sacrifié. On lui doit bien cela. Et si aujourd’hui, il ou elle s’autorise un pas de côté, ne l’a-t-il pas mérité ? Le père, ce héros, cela n’existe pas, ou alors c’est un mythe, un maléfice.
Fable de l’anti-grâce, de l’anti-gratuité destructrice.