Wozzeck, une histoire de la folie

Opéra de Lyon, du 2 au 14 octobre 2024

Je me souviens d’une une anecdote entendue il y a plus de quarante ans. C’était, je crois, à propos du Pierrot lunaire. Schoenberg aurait dit qu’on le siffloterait comme du Mozart d’ici quelques années. On était en 1912. La même chose pourrait être dite de la musique de Berg et son Wozzeck de 1925, il y a tout juste cent ans.

Et ce que l’Opéra de Lyon donne à voir et à entendre fait qu’effectivement, on entre dans une musique qui demeure difficile, unheimlich, comme dans un conte, où l’on est tour à tour effrayé et rassuré, bercé et révolté, berné peut-être. La musique et le chant mènent naturellement le spectacle, emmènent les auditeurs, les font passer par toutes sortes d’émotions, de plaisirs, d’horreurs plus ou moins acceptables. Ce soir, avec D. Rustioni à la baguette, S. Degout dans le rôle-titre, A. Braid dans le rôle de Marie, les solistes, chœur et orchestre de l’Opéra de Lyon, Berg était à l’évidence un classique que l’on pourrait quasi fredonner.

Le texte du livret est un arrangement par le compositeur de la pièce laissée inachevée par G. Büchner en 1837. Avec la mise en scène de R. Brunel, on a l’impression de lire Foucault et sa critique de l’univers carcéral ou de la folie. Le fou, le détenu est l’autre de la société, ce que la société ne veut pas être, son miroir autant que son produit. Le féminicide est un crime que l’on ne peut plus dire passionnel, mais un geste dont la responsabilité est celle du meurtrier et de ceux qui l’exploitent et s’enrichissent, rêvent de gloire, se retrouvent à se congratuler. L’amitié indéfectible ne suffit pas à sauver Wozzeck de sa folie et des manipulations dont il est victime (jusqu’à la mort) en poignardant sa victime, par le meurtre de sa concubine.

Ce n’est pas tant une histoire d’infidélité et de jalousie conjugale qu’une critique de la société. A certains moments, Marx n’est pas loin, l’évangile est cité mais il n’est cru que par les petits, les autres s’en divertissent ou se scandalisent de ce que les premiers en font. Les atteintes à la morale sont plus ce qui effraie le bourgeois que ce que dénonce l’évangile. Lui annonce un pardon, comme à l’adultère et à Madeleine. Dostoïevski serait de la partie si la Berg et Büchner avaient été plus disciples que religieux. Le metteur en scène, introduit un ecclésiastique en lieu et place d’un compagnon de Wozzeck. Il apparaît tout au long de l’opéra, soulignant le jugement contre une institution qui trahit ce qu’elle annonce. Il porte le livre des Ecritures, toujours fermé, mais ce sont Marie et Wozzeck qui l’ouvrent. Il boit et prêche, comme d’autres forniquent : « Mon âme pue l’eau-de-vie ». Comme s’il fallait reprocher à l’Eglise d’avoir elle-même dévalué ce qui ne peut plus désormais aider le monde à vivre. La source d’eau vive a été oubliée.

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