Peut-on s’extasier sur le roman « L’Art français de la guerre » de l’écrivain lyonnais « Alexis Jenni récompensé par le Goncourt ? Il est permis d’en douter Lourd, indigeste, verbeux. Qualifié par Télérama de « voyage au bout de l’ennui ». Sans apport original sur l’Histoire contemporaine..
A priori le synopsis est sobre et pourtant riche en péripéties : au 12ème siècle, la fille unique d’un riche seigneur refuse le mariage avec l’homme que son père lui a désigné pour devenir reclus.
Il faut le dire d’entrée : ce roman doit autant à la spiritualité médiévale qu’à la psychologie contemporaine. La jeune femme subit à l’aube de son entrée en réclusion un acte de violence inouïe qui la conduit à chercher son chemin dans la nuit, nuit de la souffrance intime, nuit de son local de réclusion. La recluse entrait dans une tombe et la cérémonie qui accompagnait son entrée dans le reclusoir suivait la liturgie des défunts.
En aucun cas il ne s’agit, comme on a pu le lire ou l’entendre, un livre féministe et il est nécessaire de revenir au contexte de ce début de 12ème siècle pour le comprendre.
C’est la période de développement des monastères, de l’apogée de l’art roman, et de la littérature courtoise. Avec le cycle des romans courtois et du Graal, symbole de l’Eucharistie car représentation du vase qui aurait recueilli le sang du Christ, la littérature courtoise s’inscrit dans cette culture marquée par le mysticisme.
Carole Martinez a saisi cette atmosphère mais elle révèle d’autres réalités, celle de la société féodale et pyramidale.
Dans cette société, l’individu n’existe pas. Il faudra attendre les Humanistes du 16ème siècle pour que l’individu accède au statut de la personne.
Au Moyen-à‚ge, il n’existe que par la lignée dont il n’est qu’un maillon. Le seigneur du Moyen-à‚ge a droit de vie et mort sur tous les membres de sa famille comme sur ses serfs. Sa femme, comme son enfant, est sa propriété. Dans « Du Domaine des Murmures » le seigneur est veuf et la seule femme du domaine est sa fille unique, Eslarmonde, objet de possession mais aussi d’adoration.
Mais le seigneur va entrer en conflit avec Dieu dont il sera d’abord le rival, ne supportant pas la désobéissance de sa fille. Esclarmonde le confie ainsi.
«J’avais choisi de mourir au monde à quinze ans Peu lui importait de sceller une nouvelle alliance avec Dieu. Il lui avait déjà cédé son fils , Benoît de huit ans mon aîné, qui avait préféré la prière aux armes, avait été formé à Saint-Jean, et dirigeait depuis un an le prieuré de Hautepierre, à une lieue à peine du château. Dieu était insatiable, Il lui avait volé sa femme et cinq des petits qu’elle avait enfantés. Mais ce n’était pas assez et ce Dieu, jamais repu, venait de lui ravir sa fille unique ».
« Céder », « voler » : les mots du propriétaire.
La prière est le lieu de refuge autorisant la seule liberté accessible dans ce monde où la destinée est écrite.
À la fois emmurée et libre, Esclarmonde se retrouve paradoxalement au centre du monde et tout aussi paradoxalement en relation fusionnelle avec le père dont elle a voulu fuir les diktats.
Elle l’accompagne ainsi dans une croisade en Terre sainte dans laquelle il s’embarque pour expier le pire crime qu’un homme puisse commettre. C’est là qu’intervient le merveilleux puisque Esclarmonde sera en mesure de suivre physiquement cette croisade.
Le merveilleux qu’il ne faut pas confondre avec le fantastique. Le merveilleux, c’est un monde parallèle, familier aux gens du Moyen-à‚ge. Le monde des fées, des animaux qui parlent : un monde naturel et réel. Monde refuge lui aussi. Carole Martinez nous offre d’ailleurs, de cette croisade, une vision assez éloignée de l’image d’Épinal avec défilé de chevaliers montés sur de beaux destriers, bannières au vent. Elle nous montre au contraire des combattants loqueteux, malades et affamés portés par le seul désir du repentir. Pas de combats, la seule victoire est celle qu’on remporte sur soi-même. Et les survivants portent leurs morts pour qu’ils accèdent au Pardon et soient sauvés.
Sans déflorer l’essentiel de l’intrigue, on est obligé d’évoquer un enfant-miracle, l’enfant auquel s’adresse le récit d’Esclarmonde, l’enfant de la Rédemption.
Il faut vraiment lire ce texte superbe, cette écriture limpide, sensuelle et surtout poignante.
Marie-Paule Dimet