de Miguel Gomez
Portugal/Brésil/Allemagne/France, 2012, 1h58
Festival de Berlin 2012, prix Fipresci.
Sortie en France le 5 décembre 2012.
avec Laura Sreval, Teresa Madruga, Isabel Cardoso, Ana Moreira, Carloto Cota.
Avec une très belle image, ce film mélange le romanesque et les frissons d’une histoire d’amour qui n’avait pas de tabou, et relie plusieurs époques et personnages à travers les souvenirs et les pertes.
Depuis plusieurs années au Portugal, sous la houlette de Manoel de Oliviera – le réalisateur qui a l’âge du cinéma – une génération de cinéastes exigeants et novateurs a vu le jour. Leurs œuvres questionnent le sens du cinéma et sa modernité. Si parfois le résultat est difficile d’accès pour le grand public, ce n’est pas le cas avec Tabou.
Histoires d’amour malheureuses et romanesques, enracinées dans le continent africain, elles immergent le spectateur dans une atmosphère très originale. Miguel Gomez, le réalisateur : « Tabou est un film sur le passage du temps, sur les choses qui disparaissent et qui peuvent seulement exister au travers des souvenirs, de la féerie, de l’imagerie – ou du cinéma qui convoque et rassemble tout cela en même temps« . Le film est découpé en trois chapitres, trois temps différents. L’époque de l’exploration où un jeune veuf mélancolique noie son chagrin dans la gueule d’un crocodile. L’époque actuelle, où trois voisines se trouvent liées, bien malgré elles. Il y a Aurora, riche octogénaire fantasque, Santa, sa bonne capverdienne et Teresa la voisine célibataire, catho engagée dans toutes les causes humanitaires. Enfin, il y a le troisième temps, lorsqu’Aurora se sentant mourir demande à voir un homme, Ventura, qui va raconter la jeunesse tumultueuse d’Aurora.
Filmé en noir et blanc et dans un format carré (et non rectangulaire comme la plupart des films), sans distinction de grain pour les époques, Tabou est un film visuellement très beau, tout en évitant les écueils de la référence nostalgique. Utilisant pleinement la fiction, sans souci de respect historique, il évoque d’abord des sensations, des instants perdus, des souvenirs que le cinéma nous rend intensément réels.
Tabou est un film différent, autant par la forme que par le ton, empreint d’une mélancolie ironique. Miguel Gomez rend hommage aux sources du cinéma, à la beauté diaphane des films muets, dont il s’amuse brillamment à actualiser les contraintes. Il plante aussi au cœur des personnages le regret d’une époque coloniale, sans prendre politiquement parti. Aurora, Ventura et leurs amis, jeunes et insouciants, vivent leurs envies sans culpabilité, comme les colons avant que l’Histoire ne mette fin à leur monde. Le « tabou » du titre est peut être justement d’avoir eu l’inconscience de la transgression, du territoire et du désir.
Au festival de Berlin 2012, Tabou a obtenu le prix Fipresci (prix de la critique internationale) et le prix Alfred Bauer (prix de l’innovation).