de Philippe Godeau
France/Belgique, 2012, 1h42
Sortie en France le 3 avril 2013.
avec François Cluzet, Bouli Lanners, Corinne Masiero.
Un voleur très ordinaire pour le casse du siècle et un film surprenant qui enlève tout le rocambolesque du genre pour se concentrer sur le mystère du personnage et ses motivations.
A Lyon, en novembre 2009, Tony Musulin, convoyeur de fonds depuis des années et salarié sans histoire, part un jour avec le chargement qu’il est censé protéger. Un vol sensationnel, sans un seul coup de feu, sans aucune violence. Une somme d’argent énorme, qu’il rendra presque intégralement quelques temps plus tard. Un mystère que la police n’a pas encore élucidé. L’homme est encore en prison pour quelques mois. Cette affaire fortement mystérieuse et romanesque, après avoir fascinée les médias pendant de longues semaines, se retrouve logiquement au cinéma. On pouvait craindre le pire, comme souvent quand il s’agit d’histoires vraies, basées « sur des faits réels » mais 11.6 est une belle réussite qui surprendra de nombreux cinéphiles.
Le ton adopté par le réalisateur Philippe Godeau va à l’encontre des clichés habituels en cas de cambriolage rocambolesque. Loin du grand spectacle, 11.6 s’interroge sur les motivations du personnage. Que penser d’un homme qui va tous les jours travailler en vélo et qui un jour achète une Ferrari ? Que penser d’un homme, toujours à l’heure au travail, apprécié par ses chefs, qui un jour part avec l’argent qu’il est chargé de convoyer d’une banque à l’autre ? Pas un petit montant, 11.6 millions d’euros. Un homme mutique, qui ne donne aucune explication lors de son procès mais des fausses pistes pleine d’humour. Et laisse une ardoise de 2 millions lorsqu’il se rend.
Philippe Godeau : « Il ne s’agissait pas d’une reconstitution. Il fallait prendre nos distances et réinventer le réel. Par exemple, nous avons appris que Toni Musulin s’était violemment disputé avec son co-équipier peu de temps avant le casse Nous avons supposé que cette brouille avait été provoquée par Musulin pour protéger son ami. Comme la séparation avec sa compagne. Nous n’en avons pas de certitude. C’est une hypothèse de fiction. Mais parfois, plus on s’éloigne, plus c’est fidèle. C’est un processus étrange : on est nourri, imbibé du réel puis l’histoire se développe, avec sa part de fiction et vient un moment où on ne fait plus la différence. À force de fixer son regard sur un objet, il arrive qu’une logique mystérieuse s’ouvre à vous. Celle des paradoxes et contradictions d’une existence. »
Le réalisateur donne donc des pistes pour comprendre les motivations de Toni Musulin, notamment en développant le contexte social. Celui d’une époque, celle de la crise financière où les banques sont devenues « méchantes », les patrons forcément cupides et l’héroïsme surtout virtuel. Voler une banque maintenant qu’on connaît leurs responsabilités dans la détérioration de notre quotidien, est-ce encore un mal ? Le personnage de Toni Musulin est un salarié ordinaire, pas forcément humilié par ses chefs mais pas vraiment reconnu autant qu’il le voudrait. Un homme de la « France d’en bas » qui méprise ses semblables mais protège le souffre douleur de sa boîte. Un homme avide de reconnaissance mais pas assez cultivé pour la chercher ailleurs que dans les grosses voitures rouges. Un homme aux mâchoires serrées, à qui on n’a pas appris la tendresse et qui donc la refuse.
Bien sûr, la réussite du film, c’est aussi François Cluzet, dont la force de jeu est impressionnante. Que ce soit dans Les Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache ou dans A l’origine de Xavier Giannoli, ses interprétations sont justes et brillantes. Dans la comédie comme dans le drame, il excelle à faire passer des émotions complexes et fines sans passer par les mots. Philippe Godeau avait déjà tourné avec lui dans Un Dernier pour la route (2009), histoire d’un alcoolique en cure de désintoxication. En compagnie de Corinne Masiero et de Bouli Lanners, François Cluzet arrive à donner à ce Toni Musulin là ce qu’il faut de charme et de mystère pour le rendre intéressant sans toutefois en faire un personnage aimable. Dans cette ambigà¼ité repose la force du film.
Polar à la marge de ce genre cinématographique, il est tourné à Lyon, et à la marge de cette agglomération, dans ses quartiers en construction. Une ville en chantier, en devenir, débordant sur le fleuve et la confluence où se mêlent les élans d’autrefois et les désirs d’avenir. A l’image de ce film sans dénouement classique mais fascinant par la façon dont il assume ses partis-pris.