D’Arnaud Des Pallières
France/Allemagne, 2013, 2h02
Festival de Cannes 2013, sélection officielle
Sortie en France le 14 août 2013.
avec Mads Mikkelsen, Mélusine Mayence, Bruno Ganz, Denis Lavant.
Au 16ème siècle, un homme se révolte et d’autres le suivent, parce qu’ils n’ont plus rien à perdre. Dans de magnifiques paysages, la complexité d’un combat et de sa justification.
Arnaud Des Pallières est un cinéaste discret et exigeant dont les films sont peu connus du grand public. Michael Kohlhaas, sélectionné en compétition officielle au dernier Festival de Cannes, est une belle façon d’aborder son cinéma. Combat d’un « assoiffé de justice » contre les abus du pouvoir en place, il est inspiré du roman éponyme écrit par Heinrich Von Kleist et il se déroule au 16ème siècle en Europe. La noblesse et le clergé règnent sur les paysans, une classe intermédiaire commence à apparaître, et les idées de Calvin et Luther se répandent dans les endroits les plus escarpés.
Michael Kholhaas est un marchand de chevaux, propriétaire de sa maison et des terres qui l’entourent. D’origine étrangère, il traite bien ses valets et ses bêtes et commerce avec les nobles. Le début du film nous apprend qu’il sait tenir son rang, qu’il sait lire et qu’il ne lit pas la bible en latin mais « dans sa langue ». Il a une relation très affectueuses avec sa fille et très tendre avec sa femme. On comprendra plus tard qu’elle s’appelle Judith et qu’elle est juive. Même si le contexte religieux est mis en place avec beaucoup de discrétion et qu’il n’est pas au centre des revendications de Michael Kholhaas, il est pourtant un des éléments clés du film. La révolte du personnage principal est celle d’un homme honnête qui ne ne veut que son droit, rien de plus. Mais pour l’obtenir, il est prêt à tuer tous ceux qui lui ont fait du tort, et emporter dans sa guerre tous les miséreux et humiliés d’une époque qui en comptait beaucoup. Sa folie fanatique sera tempérée par un prédicateur, un pasteur à la robe tâchée de boue, qui parle d’une autre justice, celle de Dieu. Il connaît la détresse des paysans mais il connaît aussi le cœur des hommes, les ravages de la violence et la puissance du pouvoir temporel.
Michael Kohlhaas est un film « protestant » C’est l’histoire d’un homme qui proteste et qui sera amené à repenser la forme de sa révolte. C’est un film à la beauté âpre et rugueuse où la plupart des scènes sont tournées dans des paysages magnifiques mais rudes, des montagnes de rochers, des forêts inextricables, des landes désertiques soufflées par les vents du Nord. La lumière et la photo de Jeanne Lapoirie leur donnent une intensité spirituelle qui appelle au dépouillement et à la contemplation, qui renforce la complexité de la quête de l’homme pour trouver sens à sa vie, pour trouver Dieu dans la détresse quotidienne. Dans les palettes de l’aube ou du crépuscule, dans les couleurs chatoyantes de l’automne, la mise en scène sait éviter le lyrisme inutile, les dialogues redondants et les explications pesantes. Du cinéma intelligent qui connaît l’importance du détail et la place fondamentale des comédiens.
Arnaud Des Pallières a soigné le choix de ses acteurs. C’est Mads Mikkelsen, l’acteur danois de La Chasse, qui donne à Michael Kholhaas la force sereine d’un homme blessé, devenu fanatique par principe moral. Autour de lui, pour retrouver le parfum d’une Europe en chantier, Sergi Lopez, Bruno Ganz, Denis Lavant, Jacques Nolot, David Kross ou Swann Arlaud. Des hommes au visage et physique impressionnant, mélange de langues, d’accent et de personnalités fortes qui se répondent en harmonie. Des acteurs incarnant leurs rôles avec intensité, même lorsqu’ils ne sont que 5 minutes à l’écran. Dommage que les trois actrices principales – Mélusine Mayence, Delphine Chuillot et Roxane Duran – aient elles le même physique frêle et des traits quasi interchangeables.
Film en costume, film de guerre et d’acteurs, et œuvre lumineuse, Michael Kohlhaas pose avant tout la question de la justice. Le droit est-il là pour protéger un individu ou pour contrôler les règles qui permettent au plus grand nombre d’individus de vivre ensemble sans s’entretuer ? Au 16ème siècle comme aujourd’hui, la réponse est délicate. Arnaud Des Pallières nous donne des éléments de réflexion et, surtout, un beau moment de cinéma.