La galerie Jean-Louis Mandon, propose
Une présentation lecture de l’oeuvre : « Soulages/Variations » par
Pierre Lacôte et Geneviève Vidal.
entrée libre
3 rue Vaubecour 69002 Lyon – 0630874755
jeanlouismandon@yahoo.fr
http://www.galeriejeanlouismandon.com/Accueil.html
Dans LE NOMBRE DE LA LUMIERE, Geneviève Vidal écrivait : « Neuves fractures / ruptures aux lignes franches / à qui sait lire / inscrivent des lettres armoriées / car la terre s’ouvre / vivante en travail ». Il est frappant de constater combien chaque recueil participe d’une construction plus vaste, annonce celui qui suit, pose en quelque sorte sa pierre à l’édifice ; combien il témoigne d’une aventure peu commune dans la sensibilité où la formation philosophique du poète résout mais sans la tarir l’énigme des incessantes « fractures », comme du « lézardé crevé » et du « rouge fouillis » dont son SOULAGES / VARIATIONS fait état. Ainsi son Musée Imaginaire auquel elle nous convie dans le présent ouvrage est-il à la fois l’aboutissement d’une pensée sur l’art et le consentement au désordre d’une création plurielle, celle du peintre – elle-même dédoublée, l’exposition Pierre Soulages au Musée des Beaux-Arts de Lyon ayant inspiré les variations du plasticien Pierre Lacôte – et la sienne propre. Rien n’est figé, donc. Les tableaux et les poèmes ne cessent pas de se répondre et de suggérer à la fois de nouvelles architectures et d’incontournables ruptures. On sait bien combien la mise en regards, dans un livre, d’un artiste et d’un poète, loin d’être une illustration de l’un par l’autre, engage au contraire un dialogue, un hors-texte comme un hors-image. D’où l’importance de rappeler ici la survenue concomitante « des lettres armoriées » et de cette « terre [qui] s’ouvre / vivante en travail », précisant d’une part que l’aventure de la création est une mise en abyme, un risque d’abord humain car selon le photographe Gérard Gascuel : « L’artiste véritable sait qu’il doit travailler sur lui avant de conquérir la matière » – et la philosophie avec la posture méditative qui est la sienne, correspond, pour Genviève Vidal, à un travail sur soi – ; d’autre part, que l’œuvre regardée ou lue, ne cesse pas de produire ses effets et que tout regard ou lecture, en retour, la travaille. En ce sens, il n’est pas anodin que le poète emploie dès ses premières pages le verbe « œuvrer » et répète d’une manière quasi incantatoire, dans un poème ultérieur, « œuvre au noir / œuvre au blanc / œuvre au rouge », faisant ainsi percevoir à son lecteur le travail alchimique en cours, le vivant, le remuant auquel tout créateur s’affronte, nous ramenant aussi à René Char lorsqu’il évoque « la couleur noire [qui] renferme l’impossible vivant. Son champ mental est le siège de tous les inattendus. »
Inattendus, voilà bien un mot qui pourrait figurer au lexique de ce Musée Imaginaire ! En écho, nous parviennent les « partages », « parages », « passages » comme les « croiser » ou « permuter » de G. V. qui, par le choix de ces mots réitère la question fondatrice du recueil : qu’est-ce que regarder si ce n’est entrer dans cette relation complexe entre le « déjà vu » – d’où le texte liminaire « On dirait du Dali / du Magritte / du » – et le « à voir », entre découvert et re(dé)couvert ? C’est en quelque sorte faire du savoir non un élément fixe et indétrônable mais une pierre d’achoppement et de questionnement. En tant que poète, l’auteur choisit de manifester son étonnement, capacité primordiale, « Emotion / à se trouver devant / face à face » et, à l’instar du titre de l’ouvrage, activer le processus des variations. Comment dès lors, dans le texte précité – « œuvre au noir / œuvre au blanc / œuvre au rouge » – ne pas percevoir dans la scansion, à la fois une nomination et une injonction, à savoir un emploi du mot « œuvre » en tant que substantif comme en tant qu’impératif ? Dans ce même texte, l’auteur nous décrit métaphoriquement le travail sensible et intellectuel par l’érosion des rochers, la germination de la terre ou les métaux en fusion, rattachant sa propre genèse et sa création d’un monde à la création du monde, reliant le « faire » au « se faire », ce que la citation liminaire de Pierre Soulages engageait déjà : « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ». Et à cet égard, l’enchevêtrement des traits de Pierre Lacôte inscrit comme une traçabilité de l’invisible. Son « outrenoir » à la fois trame, resserre, établit des jonctions, des soudures et trahit des perspectives et des blancs – des trouées serait plus juste – par lesquels les permutations ont lieu, les « lettres armoriées » jaillissent, recréant un alphabet éminemment poétique parce que subversif. Le château de lettres construit au fil des dernières pages, que nous dit-il ? « L’évidence de la rencontre » – entre les artistes – et en même temps l’évidence de la mort à l’œuvre, avec en filigrane le suicide de Rothko tout autant que cette solide amitié qui l’a lié à Soulages et que G . V. rappelle. Le noir – « où s’origine le noir » constate et/ou interroge le poète ; « A noir », disait Rimbaud – constitue sans doute ce « lieu sacré au-delà de toute imagerie », départ de la forme comme de la lettre, Topogramme, selon le mot inventé de Pierre Lacôte, moment à l’aplomb du « néant » dont le paradoxe du « rayonnement intense et sombre » réaffirme le danger et sa nécessité conjointe de la « fracture », de la « ténèbre » comme de l’effondrement du château de lettres Les Variations prennent ce risque, n’hésitant pas à diversifier les synonymes de « travailler » et d’ « œuvrer » avec « fertiliser » ou « densifier » ou encore « iriser » comme avec « charrier » et « grouiller » qui abolissent l’architecture, désordonnent et décomposent, modalités – toujours – du « Vertige de l’inconnu », cette quête du poète.
Chantal Danjou