La BASA est morte, vive la BASA !
A l’heure où j’écris ces mots, la Xe BASA avance vers sa fin et l’heure des bilans approche.
Le commissariat de cette édition 2015 a, pour moi, été riche en rencontres, mais le questionnement autour de sa continuation a pesé de façon subtile. Une fin définitive, un déménagement, une transformation ? Demain était le thème et il a résonné avec puissance : que sera la BASA demain ?
La plupart des artistes participants ont manifesté leur joie d’exposer dans des conditions agréables – l’ambiance étant chaleureuse, les relations étant humaines, personnalisées et non anonymes comme c’est souvent le cas. Artiste moi-même, je connais la carence actuelle de lieux d’exposition dignes de ce nom.
L’art est actuellement, comme beaucoup d’autres territoires, devenu une grande foire où n’importe qui peut s’autoproclamer artiste et s’exposer dans des espaces qui louent leurs murs, usurpant le terme de galerie qui, elle, prend le risque de défendre les artistes qu’elle montre. N’importe qui peut vendre – souvent mieux que ceux qui s’engagent sur la route étroite et périlleuse de la création. Les cartes sont brouillées et le public ne sait plus où se trouvent ceux que l’on nomme « artistes ».
Mais qu’est-ce que c’est, un artiste ?
Bien sûr, tout le monde peut faire quelque chose de beau à un moment ou à un autre, mais l’art nécessite un cheminement, un travail dans la durée. Quels que soient les obstacles. Dans les ateliers que j’ai animés j’encourageais mes élèves à créer, à se libérer, se faire plaisir et rien n’interdisait qu’ils deviennent un jour artistes si le désir se faisait sentir. Mais au lieu de constater cet appel chez l’un ou chez l’autre, il m’est arrivé de temps à autre d’entendre, devant un dessin ou une peinture réalisés pendant l’atelier : « vous pensez que je peux le vendre combien ? » L’ambiance actuelle porte à la marchandisation… et l’artiste est défiguré.
Les artistes que j’ai rencontrés au cours de cette BASA ont tous en commun une ligne, une démarche, un univers. Et c’est ça qui détermine un artiste. Il ne suffit pas de poser un point, une ligne, une couleur à un moment ou à un autre pour être artiste ! Le temps doit œuvrer. L’art est exigeant et l’on peut dire que l’on entre en art comme on entre en religion. On peut adopter une attitude d’artiste, suivre des stéréotypes véhiculés par un public désireux d’être rassuré, mais cela reste alors un simulacre, une apparence. Le travail de l’art est intérieur et si l’artiste travaille, il est aussi travaillé. Il doit accepter de se laisser entamer, malaxer, dérouter… L’art est subversif parce qu’il éveille, réveille. Et ce n’est pas une question de subversion par un sujet choquant : la beauté peut séduire et détourner du « droit chemin ».
Mais revenons à cette édition 2015 de la BASA : les exposants ont exprimé la joie de montrer leurs œuvres dans un lieu privilégié où elles sont accueillies avec respect. Et c’est peut-être ce respect des œuvres qui manifeste aujourd’hui particulièrement le sacré de cette biennale. Ici, qu’elles soient religieuses ou non, les visiteurs contemplent les œuvres avec sérieux. Qu’ils soient touchés par elles ou non, ils les respectent. À la différence des lieux dits culturels où l’intérêt consiste aujourd’hui trop souvent à se photographier sur fond de peinture, de sculpture, de photo ou d’installation. À l’heure où l’on n’hésite plus à porter atteinte à des œuvres d’art, il est devenu important de parler du sacré de l’art et des œuvres d’art. Les artistes ont une pensée, même si certains parlent peu, ils pensent et leurs mains – leur corps – expriment leur pensée. Les artistes, qu’ils soient croyants ou non, ont une recherche spirituelle plus ou moins consciente ; ils interrogent le vivant et leurs œuvres manifestent la dimension sacrée de l’humain : l’Homme
n’est pas seulement une matière. Il émane de lui un mystère qui ne doit pas être bafoué.
C’est peut-être ce sacré, cette distance respectueuse qu’il faut réapprendre aujourd’hui et que défend la BASA. Tout au long de ces mois, par l’apprivoisement des œuvres et par l’observation des visiteurs, j’ai acquis l’intime conviction que le sacré est bien présent : il émane du sérieux des propos, de la réflexion, de la méditation même de certains visiteurs. Une manifestation de cette sorte s’oppose à l’esprit de distraction superficielle qui règne aujourd’hui dans la plupart des « grandes expositions » et elle doit continuer à manifester que l’Homme est doué de liberté de pensée. La BASA : son esprit doit vivre, sous la forme renouvelée d’une biennale ou bien, pourquoi pas, dans l’enceinte d’un lieu sédentarisé qui pourrait être nommé « Centre d’Art Sacré Actuel » : CASA. Voire les deux. La BASA 2015 sera bientôt terminée, je forme des vœux pour l’à venir de la BASA.
Danielle Stéphane
décembre 2015
Le n° de Confluences – 1er Janvier 2016 est enfin déposé sur le site de Confluences
http://confluences-polycarpe.org/wp-content/uploads/2014/05/janvier-2016internet.pdf