de Nikita Mikhalkov
Russie, 2h33, 2007.
Mostra de Venise 2009, séance spéciale.
Sortie en France le 10 février 2010.
Un grand film où la longueur, la mise en scène et l’interprétation permettent d’approcher au plus près la complexité de l’âme humaine et les désordres d’une société.
Comment convaincre le lecteur de cette chronique d’aller voir un film de 2h33, qui est un huis clos et où tous les dialogues sont en russe ? Il faut à la fois parler du fond et de la forme, qui laissent tous deux une impression durable. Parce qu’on aborde des questions fondamentales sur notre façon de vivre ensemble, parce que c’est du vrai cinéma, celui qui nous ravit, nous touche, nous bouscule et nous émeut.
Le sujet de 12, ce sont 12 jurés russes, en délibération après un procès qui semblait sans histoire, où tout le monde était convaincu de la culpabilité d’un jeune homme tchéchène. Tous sauf un et plus de deux heures ne seront pas de trop pour tenter de plaider en faveur de l’accusé. Les discussions des jurés sont mises en scène comme les différents instruments d’un orchestre, les pitreries des uns alternant avec les émouvantes confessions des autres, comme les bois succèdent aux cuivres, le violon à la trompette, les réponds et la conversation permettant à tous de progresser ensemble vers un même but. La partition n’est pas écrite et pourtant l’issue du procès est connue d’avance.
Les 12 jurés représentent toutes les facettes de la Russie contemporaine : classes sociales, origines ethniques, artistes, chefs d’entreprises, pères divorcés, petits fonctionnaires, croyants et anciens communistes, rien que des hommes. Grâce à des acteurs formidables, les solos sont des morceaux de bravoure mais tous disent la corruption d’une société où même l’impensable effondrement du communisme n’a réussi à faire changer ni les mentalités individuelles, ni la lourdeur de l’état. Les acteurs ont une telle présence à l’écran que, comme sur la scène d’un théâtre, on croirait par moment recevoir leurs postillons en pleine figure. L’énergie qu’ils mettent dans leurs monologues soulève tout autant l’émotion que la fascination, comme celui de Sergei Makovezkij qui dure 11 minutes !
Et pendant qu’ils discutent, se chamaillent, s’insultent, se découvrent et constatent les carences de la société et leurs propres faiblesses, dans un minable cachot de prison, un jeune homme danse pour résister au froid, à l’attente incertaine et aux cauchemars qui reviennent vers lui en de lancinantes images. Qui nous sont montrées à l’écran : brèves, intenses, belles, douloureuses. Le huis clos des jurés et les champs de bataille de la guerre en Tchétchénie.
Le président de séance, le chef d’orchestre, le maître d’œuvre, c’est Nikita Mikhalkov lui-même, le réalisateur dont le beau visage reflète à la fois la noblesse de l’âme russe et sa mélancolie. Empreint des grands textes littéraires, il sait combien les problématiques de Dostoïveski et de Tchekov sont d’actualité dans cette Russie du 21e siècle. Pour lui, la compassion de ses compatriotes, cette capacité à souffrir pour l’autre, est l’inéluctable pendant de la corruption, où on subit sans agir, où personne ne fait rien pour que ça change. Face à ce constat désespéré, Nikita Mikhalkov ne renonce pas. Ni en tant qu’artiste, ni en tant qu’être humain. D’où ce film, puissant à force de désespoir mais construit avec tant de talent et de passion qu’il ne peut être que signe d’espérance dans l’avenir.
Quant au finale, dont on ne dira rien sur le fond, il est, là encore, un très beau moment de cinéma, beau parce que les images sont belles, intrigantes et terribles. Elles sont orchestrées dans un souffle (un peu moins, on resterait sur sa faim, un peu plus, ce serait vulgaire), souffle qui est la marque d’un très grand talent. La toute fin du film, qui fait écho à toutes les autres images du film, nous serre le cœur, d’effroi devant l’âme humaine, de bonheur devant ce cinéma-là
Magali Van Reeth
Signis