d’Apichatpong Weerasethakul
France/Thaïlande, 1h53, 2010.
Festival de Cannes 2010, palme d’or.
Sortie en France le 1 septembre 2010.
avec Thanapat Saisaymar, Jenjira Pongpas, Sakda Kaewbuadee.
Palme d’or au festival de Cannes, ce film déroutant aborde avec sérénité et douceur les liens qui nous unissent à ceux qui ne sont plus là et qu’on regrette toujours. Pour ceux qui aiment le cinéma contemplatif et surprenant.
Dans le cinéma asiatique, les films qui viennent de Thaïlande ont une place particulière. A la fois simples dans leurs scénarios tout en étant complexes sur le fond, ils rebutent parfois le spectateur par leur lenteur. Si la poésie qu’ils dégagent et l’esthétique de leurs images sont accessibles à tous, on peut être justement désorienté par des références qu’on ne comprend pas. Mais de tous les autres films du réalisateur Apichatpong Weerasethakul (dont Tropical Malady en 2004, Syndromes and a Century en 2007), celui-ci est le plus accessible
Le personnage principal, oncle Boonmee vit à la campagne où il dirige une exploitation agricole. La soixantaine, il est atteint d’une grave maladie au rein et sait que la mort approche. Dans ces paysages qu’il connaît parfaitement et qu’il aime, il pense à ceux qui ont disparu ou qui sont morts avant lui. Peu à peu, comme dans son imaginaire et tout naturellement, le film se peuple de fantômes et d’apparitions étranges mais jamais effrayantes. Oncle Boonmee n’est pas un film fantastique, encore moins un film d’horreur. C’est juste l’histoire d’un homme qui, parce qu’il est encore profondément en lien avec eux, convoque les disparus. Pour un dernier repas en commun, le soir sur la terrasse de la maison de famille, bercé par le croassement des grenouilles et le bruissement des arbres. Un moment de tendresse partagée où on se dit des choses rassurantes avant de se quitter à nouveau.
Pour Apichatpong Weerasethakul, ce film parle de la réincarnation, un concept très présent dans le monde asiatique : « Mes films précédents tournaient déjà autour de cette possibilité de la multiplication des strates temporelles et des vies, et l’idée de réincarnation était déjà présente. Cette fois, c’est, de manière évidente, inspiré d’un homme qui peut convoquer ses différentes existences, donc je pense que cela requiert différentes formes, ou formats. » Mais au-delà d’une certaine croyance, religieuse ou non, le réalisateur signe d’abord un acte de foi envers le cinéma : « La caméra est un outil pour capturer le passé et les fantômes qui vont avec. Et le cinéma tend à la préservation des âmes. Lorsque l’on voit des films du passé, les acteurs sont jeunes, et en même temps ils sont morts. Le film préserve leur esprit et le présente à une génération nouvelle de spectateurs qui assure leur survivance. Je ne sais pas si la réincarnation sera à l’avenir admise comme quelque chose appartenant au réel, et que la science reconnaîtra, mais ce processus de faire revenir certains souvenirs, c’est indéniablement comme le cinéma. »
On est en présence d’un cinéma intriguant, célébrant la lumière et le mouvement avec amplitude, où le spectateur, pour entrer dans le film, doit s’adapter physiquement aux images, se dépouiller pour mieux contempler ce que le réalisateur lui donne à voir. Au dernier Festival de Cannes, Oncle Boonmee a reçu la palme d’or. Belle consécration pour un artiste qui, en explorant le côté extraordinaire et déroutant de nos émotions quotidiennes, met de l’intrigue dans nos âmes.
Magali Van Reeth
Signis