La rencontre du 7 décembre 2017 du Café Ciné du Sanctuaire Saint-Bonaventure, était consacrée au superbe film d’Eric Caravaca
Carré 35
Ce film a inspiré à Cindy Mollaret, qui animait ce Café Ciné, le texte que nous sommes heureux de publier ci-dessous.
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On porterait le même ciel que celui de nos parents. Et le corps se souvient sans un mot.
Une photo manquante sur l’emplacement 35 du cimetière. Une tache sur le nom de cette petite fille qui traverse la page du livret de famille, et vient noirci le nom d’Eric Caravaca, son frère. « Quelqu’un en moi savait déjà ». Il savait le chagrin d’une maman dont la joie s’est envolée avec les films en 8 mm, il savait qu’une petite fille née avant lui n’était plus de ce monde, il savait qu’en Super 8, on peut adopter le regard de Sophie Calle et capturer le souffle éteint, il savait qu’il faut interroger, poser des mots sur la douleur pour que les secrets montent à la conscience. Il savait la nécessité du dépouillement cher à la psychanalyse. Il savait que ce qui est caché s’en va « hurler au fond de l’âme ».
L’histoire intime, douloureuse, dans laquelle chaque spectateur peut déposer la sienne vient se heurter à l’Histoire collective, celle d’un passé colonial refoulé. Le réalisateur reconnait que s’il a choisi de faire parler les morts au théâtre, c’est parce qu’il est depuis toujours amputé d’un membre fantôme.
D’aucuns s’allongeraient sur un divan pour que le « fantôme passe de l’inconscient d’un parent à l’inconscient d’un enfant ». Lui a choisi la posture verticale, avec une caméra comme béquille. Une caméra qui fait rejaillir les non-dits, qui scrute, qui fouille, qui rassemble pour que comme « l’image manquante » de Rithy Pahn, la trace mnésique soit déposée hors de soi.
Et hors de soi, assemblée à la parole d’autres, ne serait-elle pas moins douloureuse ? Ces larmes qui coulent chez cet homme âgé revenant sur ce qu’il a vu, alors qu’il avait 10 ans, les mots de cette mère ne pouvant employer le mot désignant la réalité de sa fille, et changeant de prénom, ce père confondant 4 mois et 3 ans…autant de façons de se protéger du tragique. Un film sur la résilience…et alors le ciel serait toujours le même mais on mettrait de la conscience sur nos choix, à l’ombre de nos arbres.
Cindy Mollaret.