Editions Grasset – 2019 – 162 pages – 16 €
La haine antisémite est revenue sur la scène nationale durant ces derniers mois, concomitante du mouvement social des gilets jaunes. Mais ces manifestations antisémites ne sont pas propres à la France, et polluent toute l’Europe.
Delphine Horvilleur, femme rabbin française du Mouvement Juif Libéral de France, analyse ce phénomène inquiétant avec une grande lucidité.
En ce qui concerne le lien avec les manifestations violentes, voici ce qu’elle en dit:
« Il faut sans doute accepter d’énoncer une phrase paradoxale: la libération de la parole haineuse, et plus spécifiquement antisémite, ne dit rien du mouvement des « gilets jaunes », mais ne lui est pas non plus étrangère. La haine des juifs (ou la haine tout court), n’est pas ce qui met ces hommes et ces femmes dans la rue… Mais ce mouvement n’est tout de même pas sans lien avec le déferlement sauvage d’une parole qui n’est ni emblématique, ni anecdotique ».
Dans ce très beau livre intitulé « Réflexions sur la question antisémite », elle nous livre une analyse loin de de la sociologie et de la politique, sans aucun lien avec les évènements actuels.
Delphine Horvilleur appuie sa réflexion sur la littérature judaïque, et c’est ce qui est passionnant.
Dans son introduction, elle insiste sur la différence entre l’antisémitisme et les autres formes de racisme. Le raciste, c’est celui qui estime que l’autre « n’est pas comme moi », est « moins bon que moi ». C’est un barbare. L’antisémite, en revanche, estime que le Juif « a plus, a trop ».
« Le Juif, au contraire, est souvent haï, non pour ce qu’il N’A PAS, mais pour ce qu’il A ».
Delphine Horvilleur remonte à la Genèse. Avec Abraham, on ne parle pas encore de Juifs, mais de « peuple hébreu » ou « d’enfants d’Israël ».
« C’est bien plus tard que le Juif fait son apparition dans le texte ». Ou plutôt la Juive, car il s’agit d’Esther. En Perse, le roi Assuérus tombe amoureux d’une très belle jeune fille nommée Esther, dont il ignore qu’elle appartient à la diaspora des enfants d’Israël, ni qu’elle est la nièce de Mardochée, premier Juif du texte et de l’Histoire. Mais avec Mardochée, c’est aussi la haine et les rivalités qui entrent dans l’Histoire, liées à une généalogie complexe qui remonte à Esaü et Jacob.
Plus tard, avec l’occupation romaine et la destruction du Temple, « apparaît dans la littérature rabbinique une expression récurrente…. Les Romains sont renommés « enfants d’Esaü »… Les rabbins semblent rejouer la légende de Romulus et Remus dans la Judée du 1er siècle ».
L’auteure reprend ainsi des récits du Talmud. Pour les Romains, comme pour les autres peuples dans l’Histoire de l’Occident, le Juif est celui qui crée une coupure, qui sépare.
« L’antisémite à travers les siècles, est toujours un intégriste de l’intégrité ».
Se pose également par la suite, en particulier pour Hitler et les Nazis, une prétendue féminité du peuple juif. Delphine Horvilleur en livre une explication théologique.
« La relation du peuple juif à son Dieu, est toujours contée sous la forme d’un lien conjugal… Le peuple est toujours décrit comme fidèle, rebelle, soumis, adultère. Mais c’est toujours le féminin qui est privilégié comme le genre du peuple, dans sa relation à un Dieu masculin ».
Elle aborde enfin la question de l’élection juive comme source de l’antisémitisme et affirme:
« D’accord, mais nous ne sommes pas les seuls ».
On doit au peuple hébreu d’avoir reçu la Révélation au mont Sinaï.
« La Révélation ne fut pas une voix » mais « la possibilité de dire ». C’est ce qui a suscité la jalousie à son égard.
Les Juifs furent accusés d’avoir été les premiers, et de n’avoir pas partagé. Ils sont perçus comme ceux qui fragmentent l’humanité, et interdisent les utopies universelles ou universalistes. En cela, ils sont un rempart contre les régimes totalitaires.
Il faut lire « Réflexions sur la question antisémite », pour faire disparaître ce malentendu lié à l’ignorance qui ostracise les Juifs depuis des millénaires.
Marie Paule Dimet
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Delphine Horvilleur
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