de Mike Leigh
Royaume-Uni, 2h09, 2010.
Compétition officielle Festival de Cannes 2010.
Sortie en France le 22 décembre 2010.
avec Ruth Sheen, Lesley Manville, Jim Braodbent, Oliver Maltam, David Bradley.
Les gens heureux sont-ils exaspérants ? Rythmé par les 4 saisons du jardin et le brouhaha de la vie sociale, un couple affronte le temps qui passe et le désarroi de ceux qui sont seuls.
Le film démarre par un prologue que chacun pourra interpréter à sa manière. Une scène très forte. Une femme usée, repliée sur elle-même qui, dans un cabinet de consultation, quémande des médicaments. Elle ne veut parler ni de ses douleurs, ni de sa tristesse, ni des causes de son mal, elle ne veut pas « voir quelqu’un ». Elle veut des médicaments, pas qu’on lui explique comment vivre
Ce comment vivre, est au cœur du nouveau film de Mike Leigh. Tom et Gerry ont soixante ans et ils sont mariés depuis très longtemps. Ils ont un fils qui travaille dans une autre ville, quelques amis et des relations de travail. Ils ont un niveau de vie confortable mais sans ostentation, une santé plutôt bonne et ils seraient d’accord pour dire qu’ils sont heureux. Mais aujourd’hui, ce bonheur tranquille peut être provocant. Peut-on être heureux en couple et dans sa vie sans que ce soit une violence pour ceux qui sont célibataires, divorcés, rhumatisants, alcooliques ou dépressifs ?
Another Year ne donne pas de réponse. Il alterne les scènes où l’on voit Tom et Gerry au jardin et les scènes où ils sont chez eux. Petit lopin de terre dans un ensemble de jardins sociaux où ils cultivent des légumes et des fleurs, le jardin est le lieu d’intimité du couple. Ici, on les voit préparer la terre, biner, semer, récolter. A l’abri dans leur minuscule cabane, théâtre où se joue réellement la construction de leur couple et de leur famille, ils attendent la fin de l’averse, le mûrissement des tomates, le moment propice pour planter, la prochaine saison qui viendra immanquablement. Au jardin, ils sont en accord avec les végétaux qui les entourent, c’est-à -dire très nature, habillés de vieux vêtements, chaussures confortables et sans artifice, en paix avec eux-mêmes.
A la maison, parce que le décor est différent, eux-aussi changent de costume. Mieux habillés, moins décoiffés, ils sont les acteurs d’une comédie sociale douce amère et ils doivent réagir face à leur amis, leurs collègues de travail, une nouvelle naissance, une histoire de famille pas très heureuse. Ceux qui entrent et sortent dans cette espace plus civilisé apportent la vie du dehors, moins bucolique, plus trépidante. Chagrin d’amour, maladie, naissance, décès, amitié bancale, jalousie. Leur quiétude est sans cesse confrontée à l’instabilité des autres. Les légumes sont moins perturbants et moins perturbés que les humains !
Les gens heureux sont-ils exaspérants en soi ? Ou simplement pour ceux qui ne parviennent pas à cet équilibre ? Y a-t-il une recette pour réussir son couple dans la durée, face au vieillissement du corps et aux sollicitations venues de l’extérieur, comme on se repasse une recette de soufflé inratable, comme on réussit ses plants de haricots verts ? A notre époque, la population occidentale vit de plus en plus longtemps, souvent à coup d’artifices, que ce soit les médicaments, la consommation outrancière, la fascination pour les mondes virtuels ou la recherche effrénée d’une minceur, d’une jeunesse éternelle ou du conjoint idéal. Mike Leigh pose un regard tendre et ironique sur ces gens ordinaires qui essaient juste de bien vivre : « En tant que cinéaste, j’ai pour responsabilité d’observer le monde, de l’appréhender et de montrer les gens qui l’habitent. Ce que je fais relève du « miroir du monde » dont parlait Shakespeare. Il s’agit simplement du monde dans lequel nous vivons » explique le réalisateur.
Another Year est porté par de grands acteurs qui incarnent totalement leurs personnages. A la fois ancrés dans l’Angleterre contemporaine par leurs physiques « so british », Jim Broadbent (Tom) et Ruth Sheen (Gerry) forment pourtant un couple où tous les autres couples pourront se reconnaître, à travers la tendresse et la complicité qu’ils partagent en toute sérénité côté jardin, dans leur façon de réagir face aux autres, côté cour.
Au Festival de Cannes 2010 où Another Year était en compétition officielle, le Jury œcuménique lui a décerné une mention, accompagnée de ce commentaire : « Au fil des saisons amitié et tendresse se déploient avec simplicité entre gens ordinaires confrontés aux joies et douleurs de la vie de tous les jours. Une mise en scène lisible et de grands interprètes expriment des relations vraies. Chacun est invité à prendre en main sa propre vie. »
Magali Van Reeth