Le commencement d’un monde,
Paris, Seuil, 2008
D’ouvrage en ouvrage Guillebaud décortique les faiblesses des sociétés occidentales, leur désarroi. Nous sommes au terme d’une séquence de 4 siècles mais ce n’est pas la fin du monde. Il réfute l’idée des civilisations antagonistes (« Le choc des civilisations » de l’américain Samuel Huntington, la musulmane et l’occidentale qui s’affronteraient en raison de leurs différences irréductibles. Au contraire il objecte que c’est parce que les cultures se rapprochent de plus en plus que certains s’inquiètent et résistent que se produisent des soubresauts, des refus.
On retrouve ses indignations contre le libéralisme échevelé, la consommation à outrance, notre « chaos-monde » comme il l’appelle. (La Croix)
« La seule lumière qu’émettent encore l’Europe et l’Amérique s’apparente trop souvent à l’enseigne d’un supermarché » p. 107 avec un capitalisme sauvage, financier « porteur d’injustices nouvelles qui transforme la planète en un jeu de Monopoly permanent » p. 110 avec la figure du gagnant, brasseur d’affaire, virtuose des marchés financiers.
Les nouvelles technologies de communication répandant une sous culture populaire d’un bout à l’autre de la planète : variétés, jeux télévisés, séries policières ou sentimentales, spots publicitaires, informations formatées. p. 116 « L’économie est devenue la nouvelle raison de vivre. » « L’individualisme absolutisé est devenu la marque des sociétés occidentalesla maison commune est déconstruite.
Autre grande transformation : les grands changements concernant notre rapport à l’espace et au temps. C’est la mobilité, le flux, le nomadisme. Finis les greniers, le principe du flux remplace celui du stock. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ouvrent au cyber espace qui est partout et nulle part : le téléphone cellulaire, le numérique, les GPS, tout est en mouvement avec la circulation des images et des sons, des blogs et des prises de parole. Tout est immédiat, sans recul, dans le temps présent. C’est une mutation de notre condition humaine qui se trame là . Nous passons d’une ère à une autre. Cet espace temps fracturé est devenu la nouvelle maison de l’homme. Il nous faut désormais penser le monde avec ces réseaux, ces carrefours, ces nœuds de communication. Un employé de bureau maghrébin à Paris, un garagiste turc à Munich peuvent habiter géographiquement un lieu et être constamment par TV, internet téléphone portable relié culturellement, relationnellement avec son pays d’origine : ce que Guillebaud appelle les « communautés imaginées » Les appartenances d’aujourd’hui ne sont plus strictement nationales, territorales, communautaires ?
La mondialisation du religieux
« Dans ce village gaulois qu’est la France, le déclin des pratiques la désertion des églises et des séminaires nous poussent à extrapoler trop hâtivement. Nous pensons que la religion disparaît de la modernité parce qu’elle décline chez nous » p. 208. Or dans la Syrie de 2008 il y a 8000 mosquées : 4 fois plus que dans les années 60. Dans la Russie de Poutine et Mendvedev après 75 ans de politique antireligieuse plus de 400 monastères orthodoxes sont aujourd’hui en activités. La Chine connaît un réveil de la ferveur religieuse. Les églises et les temples se remplissent au Vietnam, aux Philippines, en Colombie à mesure qu’ils se vident en Europe« Sans crier gare Dieu a ainsi changé de camp. Les « païens » ou les infidèles, ce sont désormais les occidentaux »
Nous entrons dans le commencement d’un monde où le métissage ne signifie pas la négation des différences, mais leur combinaison créative. Chaque culture doit pouvoir se réapproprier, réinterpréter les valeurs universelles. C’est un monde en chemin vers une modernité métissée. L’auteur récuse le préfixe inter (interculturel, interreligieux, interdisciplinaire, international), c’est laisser entendre « que chaque composante de cet inter n’est pas transformé par la relation avec l’autre, oude façon suprficielle. Le préfixe « trans » suggère au contraire l’idée d’une fécondation réciproque, d’une altération consentie, d’une émergence nouvelle » p. 150
Gilbert Brun, septembre 2008