Un film de Bruno Dumont – France – 2019 – 2 h 17
Même s’il ne témoigne pas d’une croyance en Dieu, Bruno Dumont a très fréquemment manifesté dans ses films un vrai sens du spirituel et du sacré, avec des personnages chez qui l’on voit un corps, un coeur, un esprit (et souvent même une âme).
Qui peut mieux que Jeanne d’Arc contenir ces trois éléments: le corps, avec Jeanne la guerrière, le coeur avec Jeanne la charitable qui veut sauver la France et les Français écrasés par la Guerre de Cent Ans, l’esprit et l’âme, avec Jeanne la Sainte, inspirée par le Ciel, et tout entière au service et dans les mains de Dieu.
C’est par Charles Péguy, et par son Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, que Bruno Dumont est venu à s’intéresser à la bergère de Donrémy. Au point de lui consacrer deux films à la suite: Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc en 2017, Jeanne en cette année 2019.
Alors que Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc était décliné sur le ton de la comédie musicale, les personnages de Jeanne s’expriment par le verbe, la parole, adoptant une prosodie que l’on rattache volontiers à un théâtre de déclamation, prosodie que l’on peut imaginer être celle des tréteaux des Mystères du Moyen-Age. Mystères auxquels le film de Bruno Dumont fait largement référence.
La Jeanne cinématographique de Bruno Dumont est tout sauf un personnage de fantaisie. C’est bien la véritable jeune Lorraine que chacun garde dans un coin de sa mémoire, même si ce qu’elle représente toujours aujourd’hui, peut être vu et interprété de façon fort diférente selon le point de vue et l’idéologie de chacune et de chacun.
Bruno Dumont nous raconte donc, à sa façon, la toute fin de la vie de Jeanne d’Arc, consacrant la presque totalité de son film au procès qui se conclura pas la mise à mort sur le bûcher.
Si l’on consent à ne pas chercher une totale vérité historique dans le personnage de la Jeanne de Bruno Dumont, si l’on accepte les partis pris du réalisateur, avec la façon de mener le récit en laissant du temps au temps, avec la manière de faire parler les comédiens, on reconnaîtra dans ce film l’oeuvre d’un cinéaste inspiré, l’oeuvre d’un vrai créateur. Un film où le fond et la forme s’harmonisent parfaitement, pour constituer un véritable ouvrage d’art, comme le cinéma sait nous en offrir de temps en temps.
Si Jeanne n’est pas un film musical comme l’était Jeannette, il est cependant riche en musique dont l’intérêt et la beauté se manifestent tout particulièrement dans les compositions de Christophe, que l’on est un peu surpris, mais finalement heureux de trouver au générique de ce film. La séquence qui le montre en Frère Prêcheur, déclamant une mélopée au cours du procès, est tout à fait étonnante, et très réussie !
Bruno Dumont, toujours très attaché à sa terre du Nord, la Flandre française, est le cinéaste qui, dans tous ses films, réussit à exalter et à magnifier les grands espaces. Si le western venu des Etats-Unis nous a familiarisés avec les immenses étendues de l’Ouest américain, le cinéma de Bruno Dumont nous plonge constamment dans les espaces de cette Flandre. Flandre souvent vue comme le plat pays si bien chanté par Jacques Brel, Flandre pays des dunes, de la mer, des ciels du Nord qu’ont si bien su représenter les artistes de la peinture hollandaise et flamande des siècles passés.
Dans ce film, nous retrouvons le savoir-faire de Bruno Dumont, lorsqu’il films les grands espaces naturels de la Flandre. A cela, s’ajoute de manière admirable, la façon de filmer la cathédrale d’Amiens qui sert de décor au procès de Jeanne. Immense espace constitué par cette cathédrale, filmée de façon toujours très inventive sous différents angles, faisant éclater la beauté du gothique flamboyant, avec de superbes vues en plongée qui semblent écraser les personnages sous tant de grandeur, les réduisant parfois à de minuscules silhouettes difficilement identifiables. Du grand art !
Soulignons, pour terminer, la qualité des prestations de tous les comédiens, plus souvent amateurs que professionnels, dans les rôles de gens d’Eglise, de juges, de soldats, de bourreau, et qui s’approprient et adoptent, en tordant souvent le cou au naturel, une voix et une déclamation toujours en parfaite adéquation avec le propos et le style du film. De la même façon, dans un tout autre de genre de cinéma, Eric Rohmer et surtout Robert Bresson, étaient eux aussi de véritables maitres de déclamation.
Lise Leplat-Prudhomme, déjà vue dans Jeannette, à priori improbable Jeanne compte tenu de son jeune âge, campe son personnage avec une très grande vérité, forte dans son engagement, inébranlable dans ses convictions. Bruno Dumont réussit parfaitement à capter son regard perçant au travers des « regards-caméras » qui ponctuent le film. Regard que l’on retrouve sur l’affiche du film dans toute son acuité.
Jeanne, du vrai cinéma d’auteur, du cinéma exigeant, où se rejoignent avec beaucoup de bonheur, l’art, la culture, et aussi la foi.
Pierre Quelin
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Bruno Dumont et Lise Leplat-Prudhomme sur le tournage de Jeanne
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