Edouard Louis, Monique s’évade. Le prix de la liberté, Seuil, Paris 2024
Nouvel opus d’Edouard Louis. Toujours la même histoire, pourra-t-on penser, la sienne, et ce d’autant plus que c’est le deuxième texte qu’il consacre à la vie de sa mère. Une question : ce qu’il raconte est-il vrai en tout point, est-ce enjolivé ou noirci pour servir le projet d’une forme de littérature engagée, politique, en l’espèce, le coût de la liberté, le prix pour se sortir des situations impossibles, comme la violence conjugale, la fuite des conditions sociales d’aliénation ? L’écriture bourgeoise se délecterait dans une exploration ou une exploitation psychologique que l’approche sociologique semble ignorer. Nouvel opus pour un même thème, comme si vivre c’était la nécessité de l’évasion. « Quitte ton pays, le sein de ta communauté, la maison de ton père. » Avant d’être une libération, « la fuite est un fardeau ». « Il y a des êtres portés par la vie et d’autres qui doivent lutter contre elle. Ceux qui appartiennent à la deuxième catégorie sont fatigués. »
Certes les violences conjugales se rencontrent dans toutes les classes sociales et cependant la somme d’argent nécessaire pour s’échapper est une barrière supplémentaire sur le chemin de la liberté. Il est notoire que les familles monoparentales dont la mère est souvent le pilier adulte sont statistiquement davantage concernées par la pauvreté. « Pour le dire plus explicitement et donc plus brutalement, combien de personnes, combien de femmes changeraient de vie, si elles obtenaient un chèque ? »
Ce ne sont pas seulement les minorités féminines ou de la classe qu’explore Louis, mais celles de l’homosexualité, de la race, du rebut. C’est une affaire de structures de pouvoir, de stratégies et moyens pour y échapper, plus que pour les renverser. Dans l’humiliation se puise une force de vie, et même une forme de fierté d’où une dignité déniée peut trouver à s’affirmer. Comme un roman policier, le texte raconte une course poursuite, pas tant pour fuir le conjoint, rendu inerte pas l’alcool et assommé par l’audace de la fuite, que contre les impossibilités, réelles, fictives, imaginées, fantasmées de s’en sortir.
La violence est contagieuse, de subie elle devient motrice et est reproduite. S’évader, c’est aussi dire stop, changer le monde, arrêter la complicité avec la violence. Il faut tordre la violence, « Comment ne pas devenir esclave de cette violence qui nous pousse à être violents ? » Une nouvelle fois, la question n’est pas tant de l’ordre d’un travail sur soi que du renversement des conditionnements sociaux qui par l’injustice qu’ils canonisent sont la première violence.
« Sa vie avait été, jusqu’à maintenant, une vie pour les autres. » N’est-ce pas la définition de la sainteté ? Et il faudrait l’abandonner pour vivre ? « Souffrir ne rend pas meilleur, au contraire. » N’est-ce pas le refus massif et franc d’une souffrance salvatrice ? Pas un mot de Dieu, et plutôt contre l’éthos chrétien. Et cependant, en exergue, repris ici ou là, une saveur d’Isaïe ou d’Apocalypse, révélation d’un destin, d’une destinée : « C’est donc la Nouvelle Vie, que je vois » (H. Cixous, Eve s’évade). Ou encore, un impératif contre le mensonge, celui de toutes les oppressions : « la vérité vous rendra libres ».