L’exposition de la photo d’un crucifix trempé dans l’urine suscite une vive et légitime réaction, tandis que plus d’un milliard d’hommes dans le monde célèbrent la passion !
Nous ne pouvons faire abstraction de ce qui se passe tant avec l’œuvre de Serano
qu’avec celle de « Pascale Marthine Tayou. Aussi nous vous livrons ce que la presse a relaté et l’expression sur le blog animé par le Père Michel DURAND, (Co responsable de la Biennale d’Arts Sacré Actuel) de ses réflexions.
[->http://www.enmanquedeglise.com/article-revelation-d-un-drame-qui-se-continue-dans-de-nombreuses-guerres-civiles-72216871.html]
Vendredi 22 Avril 2011
Contre-Enquete
Décodage
La guerre entre l’art et l’Eglise est-elle rouverte ?
Pourquoi les artistes s’intéressent-ils de nouveau aux thèmes religieux ?
Depuis qu’un groupe a pénétré dans la Collection Lambert à Avignon, le 17 avril, et vandalisé deux photographies d’Andres Serrano, Immersion : Piss Christ et Soeur Jeanne Myriam , la polémique n’a pas cessé. Explicitement ou implicitement proches du Front national, des associations intégristes n’ont cessé d’affirmer le caractère blasphématoire de ces oeuvres, » une saloperie » d’après le communiqué de Bruno Gollnisch du 16 avril, qui jugeait » légitime » qu’on y » réponde » . Le même jour, l’Institut Caritas avait organisé une manifestation devant la Collection Lambert.
L’ancien vice-président du FN a été largement entendu. Après le saccage avignonnais, un autre groupe a fait chuter, dans la soirée de mardi 19 avril, la Colonne Pascale que l’artiste camerounais Pascale Marthine Tayou avait érigé dans l’église Saint-Bonaventure de Lyon. Cet empilement de casseroles, haut de 7 mètres a été très sérieusement endommagé.
Ces événements relèvent de la chronique de l’extrême droite en France. Le Piss Christayant suscité une polémique aux Etats Unis en 1989, les arguments entendus reprennent ceux des sénateurs républicains américains Alfonse D’Amato et Jesse Helms : pas d’argent public pour des oeuvres sacrilèges. Les mêmes slogans ont servi au maire républicain de New York, Rudolph Giuliani, quand il s’en est pris, en 1999, à la Virgin Mary de l’artiste britannique Chris Ofili parce qu’il croyait savoir, à tort, que l’oeuvre n’avait été confectionnée qu’avec de la bouse d’éléphant. Mais une autre analyse s’impose : si ces oeuvres apparaissent provocantes, c’est qu’elles sont les premières depuis des décennies à se saisir de sujets chrétiens.
Quand les avant-gardes s’éloignaient du religieux Tout au long du XXe siècle, les rapports entre catholicisme et art moderne ont été plus que lointains. Quelques exceptions, telle la chapelle de Matisse, à Vence, n’ont pas compensé cet éloignement. Non que les interrogations spirituelles soient absentes des avant-gardes. Le livre essentiel de Kandinsky a pour titre Du spirituel dans l’art . Mais du spirituel et non de la religion, celle-ci étant considérée comme un ensemble de croyances et de traditions obsolètes. L’aspiration à la transcendance qui anime Mondrian ou Malevitch prend des formes radicalement nouvelles, sans aucune relation avec les iconographies qui se sont développées depuis le début du christianisme. Plus de crucifixion, plus de résurrection. Ces sujets n’apparaissent que de façon exceptionnelle : quelques Beckmann, des études de Picasso d’après Grà¼newald. Les seules références religieuses sont satiriques – La Sainte Vierge , de Picabia – et le surréalisme affiche son anticléricalisme.
Après la seconde guerre mondiale, la séparation est plus complète encore. Les esthétiques abstraites, minimalistes et conceptuelles l’accentuent en excluant la représentation humaine. Vers 1980, tout indique que la question a disparu de l’art contemporain.
Circonstance aggravante : depuis la fin du XIXe siècle, l’Eglise catholique s’est attachée à ce qui est vite apparu aux artistes comme des imageries stéréotypées : une forme très affaiblie et dédramatisée du grand art chrétien antérieur. Les rares tentatives pour réconcilier l’Eglise et l’art moderne, telle celle du Père Couturier après 1945, ont produit peu de conséquences. Les dernières salles du Musée du Vatican en portent témoignage.
Aussi, les polémiques sont pour ainsi dire inexistantes. Au cinéma, Jacques Rivette et son adaptation de La Religieuse , de Diderot, déchaînent les foudres de la hiérarchie catholique. Mais le scandale apparaît aussi anachronique qu’isolé.
Le tournant des années 1980 En 1985, Andy Warhol, fils d’une famille catholique, peint une Vierge de Raphaël, qu’il renverse et y superpose une étiquette commerciale. La juxtaposition n’est pas innocente : de la Vierge, il ne reste qu’une imagerie banalisée et bon marché. Cette même année, Andres Serrano commence sa série » The Church « .Immersion, avec son Christ et sa Vierge, est réalisée deux ans plus tard. En 1985 toujours, le film de Jean-Luc Godard Je vous salue Marie provoque des réactions violentes parce qu’il transpose la Nativité dans le monde moderne, faisant de Joseph un chauffeur de taxi et de Marie sa » petite amie « .
En 1988, sort La Dernière Tentation du Christ , de Martin Scorsese. Le 23 octobre, un groupe intégriste incendie le cinéma Saint-Michel, à Paris. D’autres attentats sont perpétrés au Gaumont Opéra, à Paris, et à Besançon. La même année, une polémique mondiale est déclenchée avec la fatwa lancée contre l’écrivain Salman Rushdie, jugé coupable d’avoir » profané » la religion musulmane dans ses Versets sataniques .
Depuis, la chronique n’a plus cessé. 1997 est l’année du premier acte de vandalisme contre Piss Christ , à Melbourne. C’est aussi l’année de la première exposition, à Londres, de La Sainte Vierge Marie , d’Ofili. La Vierge est noire comme Ofili, né dans une famille d’origine nigériane et élevé dans des collèges catholiques, ce qu’il n’a pas manqué de rappeler quand l’oeuvre a été aspergée de couleur… blanche lors de son exposition au Brooklyn Museum en 1999. Lorsque I.N.R.I., livre de photographies de Bettina Rheims en collaboration avec Serge Bramly, paraît en 1997 chez Albin Michel, l’abbé traditionaliste Philippe Laguérie tente vainement de le faire interdire.
La liste peut s’étendre : diverses polémiques en Italie, destructions d’oeuvres à Moscou en 2003, ou encore arrachage, en 2009, d’un grand dessin qu’Ernest Pignon-Ernest a placé sur la façade de la cathédrale de Montauban avec l’accord de l’évêché. Son crime ? Il a magnifié une étude de nu d’Ingres pour son tableau religieux Le Voeu de Louis XIII , accroché dans cette cathédrale. Un nu, féminin de surcroît…
Colère et incompréhension Il y a là assez d’éléments pour deux déductions inséparables : d’une part les sujets religieux, plus particulièrement chrétiens, réapparaissent depuis un quart de siècle dans les arts ; d’autre part, la volonté des auteurs de leur redonner une intensité perdue rencontre au moins autant d’incompréhension et de colère que d’approbation.
Les croyants comme le clergé se sentent d’autant plus agressés que les artistes rompent avec les vieilles images, en introduisant le monde moderne – Godard, Ofili -, la violence physique – Serrano – ou l’érotisme douloureux – Rheims. Il y avait autant de violence, d’érotisme et de vie quotidienne dans les toiles du Caravage. Elles ont été souvent mal reçues par les contemporains du peintre. Mais nul ne s’indigne plus aujourd’hui de ses anges un peu trop lascifs ni de ses mendiants crasseux aux pieds de la Madone. C’était pourtant, vers 1600, un renouvellement de l’iconographie catholique, avec son accompagnement de malentendus.
Pourquoi ce renouveau dans les années 1980 ? On peut imaginer une réponse interne à l’art : la proscription de la représentation et des sujets religieux a fini par donner à des artistes le désir d’y revenir.
Une deuxième réponse touche à l’histoire commune. Le sida apparaît au début des années 1980. Dans les années qui suivent, guerres civiles et carnages s’imposent dans l’actualité. Que la Passion du Christ réapparaisse dès lors comme l’emblème de la souffrance humaine est logique. Les représentations religieuses se sont trouvées réactivées par l’histoire elle-même et sont réapparues dans la création artistique. Pascal Convert l’a montré en convertissant en sculptures, en 2000, la photographie de Georges Mérillon surnommée par tous » Pietà du Kosovo » et, en 2002 la photographie d’Hocine d’une femme algérienne en pleurs, connue universellement comme » La Madone de Benthala « .
Philippe Dagen
Les enseignes de luxe prennent leurs distances avec Serrano
Mis en cause par certains blogs et de multiples courriels dénonçant son soutien à Andres Serrano, le groupe LVMH a mis les choses au point. Son vice-président, Pierre Godé, a répondu aux protestataires : » Nous tenons à vous donner les précisions suivantes : 1. Cette exposition n’a nullement été sponsorisée par LVMH, et c’est à tort que la galerie s’est crue autorisée à utiliser notre logo à titre de mécène. 2. Nous avons mis en demeure cette galerie de retirer la mention LVMH sur tout le matériel de publicité et d’information et, à notre connaissance, cela a été fait. »
Mercredi, la Fondation Cartier a réagi à son tour, par un communiqué, signé de son président, Alain Dominique Perrin : » Suite à une information erronée (…), la Fondation Cartier pour l’art contemporain a été à tort citée successivement comme prêteur, partenaire et « sponsor secondaire » derrière LVMH, de l’oeuvre d’Andres Serrano, Piss Christ, présentée dans le cadre de l’exposition Je crois aux miracles, à la collection Lambert en Avignon. La Fondation Cartier pour l’art contemporain tient à préciser qu’elle n’est jamais un « sponsor secondaire ». D’autre part, elle n’a en aucune manière participé au financement de cette exposition et elle ne détient par ailleurs aucune oeuvre de l’artiste Andres Serrano dans sa collection. «
Vendredi 22 Avril 2011
FORUM
Un crucifix dans l’urine !
LE BLOC-NOTES DU PÈRE BERNARD PODVIN
L’exposition de la photo d’un crucifix trempé dans l’urine suscite une vive et légitime réaction, tandis que plus d’un milliard d’hommes dans le monde célèbrent la passion ! à‡a se passe en Avignon. tout le monde en parle. on assiste à un dialogue de sourds entre ceux qui défendent la liberté de créer, et ceux qui pourfendent le droit de l’exposer dans un musée.
Ni l’obstination des auteurs ni la violence répressive ne sont la juste voie. L’art s’honore quand il n’offense pas. L’indignation s’honore quand elle est non violente. il faut aimer l’art qui fait grandir. pas quand il divise à ce point. Ces messieurs de la culture nous disent : « Ne soyez donc pas primaires. Ne faites pas une lecture littérale de cette oeuvre. C’est une métaphore ! » nous prend-t-on pour des abrutis ? Ce qui choque n’est pas qu’on utilise la croix dans l’art. Cela se fait depuis des siècles. Ce qui choque, c’est de ne pas entendre que, ici en l’occurrence, cela choque ! Malheureusement, des commandos intégristes desservent cette cause. sans doute parce que la communauté chrétienne n’est pas assez ferme et présente à ce « débat ». Afin d’user d’arguments clairs et nets. Mais toujours dans la douceur d’Évangile ! Ainsi donc, en plein jours saints, on porte offense à ce que nous avons de plus précieux. Les archevêques d’Avignon et de Lyon se sont exprimés en ce sens. Le Christ en son chemin de croix sait le poids de l’opprobre. il n’a de cesse qu’une publicité tapageuse soit faite à une… « métaphore » de sa croix. son agonie livrée jusqu’au bout paramour n’arien de « métaphorique ! »
Relire les Évangiles de sa passion, c’est communier à ses souffrances dans l’aujourd’hui du monde. « Voici le bois de la croix qui a porté le salut du monde » chantent les croyants chaque vendredi saint. Rappelons-le : cette « oeuvre » controversée n’est pas exposée depuis seulement huit jours. et ne le fut pas seulement en Vaucluse. pourquoi avoir tardé dans un dialogue exigeant ? Cette surenchère n’est pas neutre. Au-delà de cette pénible affaire, creusons de toute urgence le lien vital entre la culture et la foi. Des artistes croyants doivent être soutenus. Une culture d’art sacré manque cruellement à la base. De jeunes talents sont à détecter. La nouvelle évangélisation doit aussi passer par l’art. non comme instrument. Mais comme porteur du mystère qui passe infiniment l’homme. « On comprend, reconnaît le ministre de la culture, que ce crucifix dans l’urine puisse choquer certains publics. » euphémique reconnaissance d’une vive blessure !
Méditons cette hymne de l’inoubliable père Didier Rimaud. s’il en est un qui conjuguait avec profondeur l’art et la spiritualité, c’est bien lui. sa prière litanique nous recentre au coeur du Christ : « Pour ton Corps d’innocent humilié, béni sois-tu ! Ton Corps de Dieu où les faibles sont forts, béni sois-tu ! Pour ton Corps qui n’est rien qu’une plaie, béni sois-tu ! Ton Corps de Dieu où se brise la haine, béni sois-tu ! Pour ton Corps tout couvert de crachats, béni sois-tu ! Ton Corps de Dieu qui grandit parmi nous, béni sois-tu ! Pour ton Corps condamné à mourir, béni sois-tu ! Ton Corps de Dieu où l’Amour est plus fort, béni sois-tu ! Pour ton Corps abattu de tristesse, béni sois-tu ! Pour ton Corps de Dieu crucifié par Amour, béni sois-tu. Béni sois-tu pour ton Corps ! Béni sois-tu pour ton Sang qui consacre le monde. »
On a bien compris le sens de la réaction des chrétiens dans l’offense qui est faite à la Croix du Christ. Je conclus par ce point fondamental : si les chrétiens vénèrent la croix plus que tout, ce n’est pas pour défendre « leur » propriété. C’est précisément parce qu’elle n’est propriété de personne. C’est donc bien plus que les chrétiens que l’on blesse.
« La nouvelle évangélisation doit aussi passer par l’art, porteur du mystère qui passe infiniment l’homme. »