de Diego Lerman
Argentine/France/Espagne, 2010, 1h35
Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2010.
Sortie en France le 11 mai 2011.
avec Julieta Zylberberg, Osmar Nunez, Marta Lubos, Diego Vegezzi, Pablo Sigal.
Les mécanismes de la dictature décryptés à travers la vie quotidienne d’un lycée. L’Argentine en 1982 mais l’exercice éternel de la surveillance et du pouvoir tyrannique à travers la violence et l’humiliation.
Pour son troisième long métrage, le jeune réalisateur argentin revient sur l’histoire récente de son pays. L’Œil invisible se déroule en 1982, presque en huis-clos dans un lycée. Etablissement réputé de Buenos Aires où les jeunes des classes les plus favorisées viennent faire leurs études. Dehors, la dictature militaire a imposé son régime, dedans, le règlement intérieur impose aussi surveillance et pouvoir.
Diego Lerman s’est inspiré du roman de son compatriote Martin Kohan, Ciencias Morales (Sciences morales) : « le livre m’a captivé. Il y avait ce contexte de la dictature militaire, mais derrière, d’autres thèmes affleuraient, des thèmes qui me paraissaient particulièrement cinématographiques : la répression sexuelle, la quête d’autorité, la décadence d’un régime, tout ça condensé sur le fond de grande Histoire, une fable dans un lieu unique et clos (un lycée) à partir duquel on peut deviner ce qui se passe à l’extérieur. Le lycée comme métonymie d’un pays. »
Baigné dans une lumière froide, aux tons bleu et gris, le film fait un parallèle entre les mécanismes de la dictature qui ont contraint une société au silence, à la suspicion et à la peur et la façon dont la surveillance est exercée au sein du lycée. Notamment comment le pouvoir s’exerce entre les différentes classes sociales. Maria Teresa est surveillante, heureuse d’avoir un travail qui permet à toute sa famille de vivre. Pour plaire à son chef et être sûre de garder ce travail, elle fait du zèle dans la surveillance des élèves. Et, entre fascination et méfiance, se laisse manipuler par celui-ci.
A travers le triste destin de Maria Teresa, le film montre comment les classes moyennes, engluées dans la survie quotidienne, participent presque malgré eux, à cette dictature. A la fois coupables, car ils n’ont pas les moyens de s’opposer, mais aussi toujours victimes de cet engrenage de violences physiques et psychiques. Ils sont l’œil invisible du régime.
Mais dans cette histoire de cinéma, où rien n’existe sans le regard du spectateur, nous partageons avec Maria Teresa le poids de cet œil par qui tout passe, y compris le silence de ceux qui savaient et n’ont rien dit.
Le film se termine sur des images d’archives. Diego Lerman : « Il s’agit d’un célèbre discours de Galtieri, le dernier chef de la junte, alors au pouvoir en 1982, où il annonce devant la foule, dans un geste cynique et suicidaire, que l’Argentine va annexer les Malouines. Quelques jours auparavant, le 30 mars 1982, les syndicats avaient organisé de grandes manifestations, dont on entend les échos à l’intérieur du lycée, et avaient fait chanceler le pouvoir. Celui-ci ne tarda pas à répliquer par la répression, et par la fuite en avant dans une guerre supposée populaire. La junte pensait ainsi ressouder une nation déliquescente, sans imaginer une seconde que l’Angleterre de Thatcher allait répliquer avec une telle violence. Le résultat a été inverse à celui souhaité, puisque cette guerre a précipité la chute du régime. Tout ceci n’était pas dans le roman, mais il était indispensable à mes yeux de faire ressurgir le social. Toute l’Histoire, tout ce qu’il y a à l’extérieur du lycée, reste hors-champ lors du film : ces images agissent comme une recontextualisation brutale et contondante. »
Un film oppressant mais nécessaire pour dénoncer les mécanismes de l’oppression, remarquablement interprété par Julieta Zylberberg, et Osmar Nunez.
Magali Van Reeth
Signis