D’Abdellatif Kechiche
France, 2013, 2h58
Palme d’or, Festival de Cannes 2013
Sortie en France le 9 octobre 2013.
avec Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux.
A travers l’histoire d’un amour, l’histoire de la rupture qu’il porte en germe, filmé avec un lyrisme et une âpreté qui pourra dérouter certains spectateurs.
C’est une histoire d’amour entre deux filles, des premiers regards à la rupture. Mais le film est beaucoup plus complexe que son résumé. C’est un film qui prend le temps (2h58) d’installer ses personnages et d’habiter les lieux où ils évoluent. Ce qu’on trouve déjà dans les autres films d’Abdellatif Kechiche : L’Esquive, La Graine et le mulet, La Vénus noire. La narration alterne les ellipses et de longues scènes où, à travers des détails, des gestes et des conversations apparemment anodines, le contexte social se définit et des ruptures se creusent. Sans explication, sans jugement, le réalisateur prend acte de tout ce qui construit un personnage et donc un individu.
Le film commence dans une salle de classe d’un lycée où des élèves lisent La Vie de Marianne de Marivaux et où certains d’entre eux partagent les tourments amoureux et les désirs de liberté de cette héroïne du 18ème siècle. Dont Adèle, 15 ans, issue d’une famille modeste et qui découvre tout un autre monde, grâce à l’école. Par hasard, elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleu, libre, artiste et sûre d’elle. Elles vont vivre une relation très passionnelle qui se délitera notamment sur des questions d’origine. Où se situe la différence sociale ? Kechiche explore cette question dans tous ces films et dans La Vie d’Adèle, elle est présente dans de nombreuses scènes et elle est l’un des moteurs de la rupture.
Les scènes de sexe, qui peuvent paraître trop longues et trop crues à beaucoup de spectateurs, génèrent autant de malaise que l’insidieux décalage social qui traverse tout le film, notamment cette soirée avec les copains artistes d’Emma. Adèle, qui a longuement cuisiné, et avec plaisir, pour recevoir les invités, perçoit inconsciemment qu’elle n’est pas à sa place, qu’être instit dans ce milieu-là , c’est pas une gloire et que de ne pas connaître les tableaux du peintre Shiele, c’est vraiment nul Chez ses parents, Adèle dévore les spaghettis à pleines dents, sans se soucier de la sauce tomate qui colore le pourtour de sa bouche. Chez sa mère, Emma mange les huîtres que son beau-père a achetées chez un écailler réputé et on ne voit pas de télévision allumée.
La Vie d’Adèle ne peut pas non plus se résumer à un film politique. C’est un film lyrique autour d’une passion amoureuse, lumineux, avec des élans touchants. La narration du récit se fait en dehors de repères chronologiques habituels. C’est aux détails qu’on se rend compte que le temps a passé : Adèle fait de la philo, elle est donc en terminale ; elle va à la plage, c’est donc l’été ; elle enseigne en CP, une année a donc passée. Une manière de filmer qui laisse au spectateur tout l’espace nécessaire pour participer au récit.
L’homosexualité n’est pas une revendication, elle est l’une composante de l’histoire d’amour et si Adèle vit intensément cette passion amoureuse et charnelle, elle n’ose pas se dire homosexuelle, ni face à ses copines de lycée (on peut comprendre vu leur agressivité de harpies jalouses), ni plus tard face à ses collègues de travail. Alors qu’elle est sûre d’elle dans sa vocation d’enseignante, Adèle avance avec maladresse dans sa vie affective. Lorsqu’elle subit avec violence les désillusions de l’amour, y compris ses propres trahisons qu’elle ne comprend pas, elle fait face dans son métier, face aux enfants, dans son désir de transmission (que les copains bobos d’Emma trouvent ringard) et qui reste intact malgré son chagrin. Une facette du film – pleine d’espérance et d’engagement politique – qu’il serait dommage de négliger.
Palme d’or au Festival de Cannes 2013, La Vie d’Adèle, chapitres 1 et 2 est interdit aux moins de 12 ans.