Laurence Anyways

de Xavier Dolan

Canada/France, 2012, 2h39

Festival de Cannes 2012, sélection Un Certain Regard

Sortie en France le 18 juillet 2012.

avec Suzanne Clément, Melvil Poupaud, Nathalie Baye.

Une histoire d’amour flamboyante et inhabituelle, pour un beau moment de cinéma, malgré les faiblesses d’un scénario moins provoquant que son sujet.

Film fleuve et exubérant sur la forme, déroutant par son sujet, Laurence Anyways est le 3ème long métrage d’un très jeune réalisateur canadien, Xavier Dolan. Fred et Laurence, un peu bohèmes, un peu fantasques, forment un couple depuis quelques années et sont très heureux. Fred, c’est elle, Laurence, c’est lui Le couple voit sa belle harmonie voler en éclat lorsque brusquement Laurence décide de devenir une femme.

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Au-delà  d’un réel questionnement sur le genre – sujet très contemporain – le film est avant tout du cinéma brillant, inventif, où de nombreux plans semblent au bord de l’explosion tant ils éprouvent le côté créatif du cinéma. La mise en scène est un régal, jusque dans les costumes, le choix des décors. C’est un film lyrique qui touche le spectateur par les émotions, les sens et l’abondance. Les acteurs se donnent à  fond et la comédienne québécoise Suzanne Clément est magnifique. Enfin, la musique est un vrai festival

Pourtant, au-delà  de ce très vif plaisir de cinéma, le film boîte un peu à  cause du scénario. Sans doute un peu trop étiré (le film dure plus de deux heures et demie), Laurence Anyways n’arrive pas à  convaincre. Si dès les premiers scènes, Proust, Mauriac et Céline sont convoqués, ils disparaissent ensuite si totalement qu’on se demande s’ils n’étaient pas juste là  pour la poudre aux yeux. L’histoire d’amour entre Laurence et Fred est touchante, on y croit mais la décision de changement de sexe de Laurence est plus difficile à  accepter. Pourquoi le réalisateur n’arrive pas à  nous convaincre ? Peut être parce qu’on voit toujours Melvil Poupaud derrière le visage de Laurence (qui n’arrive pas de toute façon à  porter le tailleur/collier de perles avec naturel). Peut être parce que le film n’est au fond qu’une douloureuse histoire d’amour, déguisée comme Laurence, où la question de la sexualité n’est jamais abordée. Ce qui est bien étrange quand on parle d’amour conjugal…

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Xavier Dolan confirme cependant son grand talent de cinéaste et on attend avec impatience son prochain long métrage, en espérant que cette fois, le scénario sera à  la hauteur de la réalisation.

Magali Van Reeth

Signis

Holy Motors

de Leos Carax
Allemagne/France, 2012, 1h55

Festival de Cannes 2011, sélection officielle, en compétition.

Sortie en France le 4 juillet 2012.

avec Denis Lavant, Edith Scob, Eva Mendes.

Réflexion brillante sur le cinéma et l’art de la mise en scène de notre propre vie, le nouveau film de Leos Carax peut aussi irriter par son manque d’humilité.

La vie est un spectacle dont nous sommes à  la fois l’acteur principal et le spectateur assidu Embarqué dans une luxueuse voiture, le personnage principal de ce film, monsieur Oscar, est tous les personnages. C’est son métier. il fait ce pour quoi on l’engage : le mendiant, l’amant, le criminel ou le père inquiet. La voiture, comme les cinéastes iraniens l’ont souvent montré, est le dernier refuge de l’intime dans les sociétés trop policées ou trop médiatisées. Ici, la limousine blanche évoque à  la fois le cercueil, le luxe factice et le vaisseau spatial, un peu hors du temps mais insonorisé aux bruits et aux sollicitations de l’extérieur. Elle est un habitacle protecteur, la loge de l’acteur en déplacement, le lieu du premier miroir. Elle sert au démaquillage, au costume, à  la préparation du prochain rôle, au repos.

Holy Motors nous embarque pour un voyage dans le cinéma et dans l’art de représentation. Denis Lavant, présent dans chaque plan, est tous les rôles avec une confondante facilité. Il est crédible en femme, en beau gosse, en gentil comme en méchant. La vraie force du film, c’est lui, un numéro d’acteur de bout en bout sans qu’on se lasse une minute ! A ses côtés, la présence discrète, élégante, presque envoûtante d’Edith Scob. Couple inhabituel au cinéma, elle grande et élégante, lui, petit bonhomme au visage mâché, duo lisse, harmonieux, en dehors de tout désir sexuel, de toute passion.holymotors1.png

A travers la succession de saynètes qui questionne la frontière ténue entre réalité et représentation, c’est aussi un hommage au cinéma qui se dessine. Puisqu’on se met en scène comme le cinéma se met en scène, les références sont nombreuses, à  d’autres grands films, aux autres films de Leos Carax. S’amusant avec nos références cinématographiques, il joue avec nos attentes. C’est amusant mais un peu vain. Et c’est sans doute un peu irritant parce qu’on se dit vite, d’une part, que le réalisateur manque totalement d’humilité mais surtout, qu’il manque d’idées. Comme s’il n’osait pas se lancer dans quelque chose de tout à  fait neuf, dans une création qui ne soit pas une re-création ou récréation

Heureusement, la dernière scène, pleine d’humour et d’auto-dérision, nous permet de terminer sur une note moins sombre quant à  la capacité créatrice de Leos Carax.

Magali Van Reeth

Signis

La Part des anges

de Ken Loach

Royaume-Uni/Belgique/France, 2011, 1h41

Festival de Cannes 2012, compétition officielle, prix du jury.

Sortie en France le 27 juin 2012.

avec Paul Brannigan, John Henshaw Lie, Siobhan Reilly, Gary Maitland.

Entre comédie sociale et conte de fée alcoolisé, Ken Loach s’amuse sur les routes d’Ecosse. Un film léger comme le sourire des anges.

Ne pas céder, même en riant. Tel pourrait être la ligne de conduite du réalisateur britannique et de son scénariste, Paul Laverty. Dénonçant sans relâche les dégradations de la société contemporaine, où les plus pauvres sont les plus touchés par le manque de travail, le manque de perspectives, et le manque d’accès à  la culture, ils enchainent les films. La plupart sont des films dramatiques où les victimes des crises financières tentent de survivre dans un environnement poisseux. Mais depuis Looking for Eric (2009, prix oecuménique au Festival de Cannes), le rire est aussi une arme pour résister.
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Condamnés à  des travaux d’intérêt général, une bande de délinquants tente de se racheter une conduite et d’échapper à  la détention. Parmi eux, Robbie, très jeune papa, qui veut tout faire pour s’en sortir et pouvoir mener une vie normale de « père de famille ». Mais c’est difficile de tout apprendre quand on n’a jamais travaillé, ni en classe ni pour gagner des sous, et qu’on fréquente les mauvais quartiers. Grâce à  l’éducateur qui les encadre, Robbie va découvrir une passion qui lui permettra d’échapper à  la fatalité.

Traité comme un conte de fée et non pas comme une chronique réaliste de la société britannique, l’historie de Robbie permet à  Ken Loach et à  Paul Laverty de mettre en avant tout un pan de la culture traditionnelle écossaise, à  travers la fabrication du whisky. Et de donner un grand coup de pouce à  ceux qui sont les plus meurtris par la crise, quitte à  rouler dans la farine un milliardaire américain…
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La Part des anges, c’est l’alcool qui s’évapore d’un fût de whisky pendant sa maturation. Jolie métaphore pour qualifier cette seconde chance que le film offre à  une bande de racailles, premières victimes d’une crise dont ils ne sont en rien responsables.

Magali Van Reeth

Signis

Prélude à  l’Anastasis

Le théâtre de l’Arc en Ciel présente :
« Et leur noirceur rayonne encore, Prélude à  l’Asnastasis »
dans le cadre des XVIIème soirées d’été du Château de Machy.

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Une création théâtrale, musicale et chorégraphique de «l’Arc en Ciel » à  partir des appels prophétiques de
GANDHI, Marie Noël, Léopold Sédar SENGHOR, Albert CAMUS, Aimé CÉSAIRE, Nelson MANDELA, Karol WOJTYLA, Martin LUTHER KING, Mahmoud DARWICH, AUNG SAN SUU KYI, DEBRA CALLING THUNDER,Josephine BACON, Alessandro BARRICO
Vous aviez dans le coeur jour et nuit leur révolte
leur cri, leur peur et leur résignation
Ces mots incandescents murmurés au moisi d’une cellule
Ces larmes noires du charbon des esclaves
Ces appels décimés des derniers survivants
Tous ces cris étouffés,
Vous n’aviez pas plus qu’eux de réponse
Ni plus de force ou de courage
Mais vous avez compris par je ne sais quelle grâce
Qu’à  la fuir, la souffrance est encore plus amère
Et qu’à  se résigner on perd le goût de vivre
Et qu’à  se révolter on retarde le jour
!
…quelle que soit leur foi, ou la couleur de leur peau, qu’ils
s’appellent Gandhi, Aung San Suu Kyi, Mahmoud Darwich…
ou Martin Luther King, qu’ils soient de bords opposés, noirs
ou blancs, juifs ou palestiniens, chrétiens ou agnostiques, ils
ont en commun d’avoir su laisser s’embraser la noirceur qui
étreignait leur âme et ce charbon incandescent traversant
tout leur être, est devenu lumière pour les indignés de leur
temps. Ils ont tiré de leurs entrailles des paroles qui libèrent
et qui opèrent et jamais ne s’éteignent.
Ces paroles que nous croyons connaître, nous avons choisi de les faire sortir du temps, de leur faire habiter
l’espace, de les entendre dire, de les voir danser et prendre chair dans notre propre chair, de les faire
chanter pour vibrer au diapason du Rêve. C’est la «célébration » à  laquelle nous vous invitons désireux de
communier avec vous à  cette affirmation d’Albert Camus : «Tous ceux qui aujourd’hui luttent pour la Liberté
combattent en dernier lieu pour la Beauté ».

Télécharger le programme et renseignements pour inscriptions:

D-pliantXVIIe_Soirees-1.pdf

en savoir plus :

[->http://www.theatrearcenciel.com/]

Tél. pour réservation : 04 78 47 34 32 ou FNAC

Adieu Berthe – l’enterrement de mémé

de Bruno Podalydès

France, 2012, 1h40

Festival de Cannes 2012, Quinzaine des réalisateurs.

Sortie en France le 20 juin 2012.

avec Denis Podalydès, Valérie Lemercier, Isabelle Candelier, Bruno Podalydès.

A la fois léger et profond, mélancolique et drôle, un film pétillant qui mélange les rêves des indécis et la magie du cinéma.

Les films de Bruno Podalydès sont un espace rafraîchissant dans le long corridor des comédies françaises qui se bousculent sur les écrans. Hormis l’adaptation des deux romans de Gaston Leroux, Le Mystère de la chambre jaune (2003) et Le Parfum de la dame en noir (2004), ses films sont à  la lisière du journal de bord, de la fantaisie poétique, de la comédie de mœurs, de la blague de potache mélancolique et du burlesque le plus raffiné. Laissant à  son frère Denis le rôle principal et ancrant ses décors dans la banlieue tranquille de l’Ouest parisien où ils ont grandi, Bruno Podalydès pose un regard tendre et ironique sur ses contemporains.berthe4.jpg

S’il y a bien un enterrement dans Adieu Berthe, ce n’est pas tant de mémé dont il sera question mais de son petit-fils Armand. Armand et sa femme Hélène tiennent une pharmacie. Les échanges, les disputes et les chagrins conjugaux se font au-dessus des tiroirs bien rangés de médicaments, symboles à  la fois d’une guérison/consolation possible mais aussi d’un monde où tout est exactement à  sa place. Sa place, Armand la cherche constamment. Doit-il quitter sa femme pour son amante ? Est-ce mieux d’être le père d’un ado collé à  ses écrans et enfermé dans ses écouteurs ou celui d’une petite fille qui veut un goûter d’anniversaire avec des tours de magie ? Et mémé ? Faut-il l’inhumer ou l’incinérer ? Armand se perd entre ces deux mondes, celui de la raison et celui de la magie qui le mène à  mémé.berthe3.jpg

Avec une aptitude réelle pour les tours de passe-passe, les jeux de mots visuels et les gags silencieux, les Podalydès se moquent de nos incertitudes, de notre incapacité contemporaine à  faire des choix, de notre angoisse devant la mort, de notre fascination pour le morbide et les séries américaines, du genre Twilight, prononcé ici à  la française, « toilettes » Dans un capharnaà¼m de pompes funèbres où les prouesses techniques emplissent le vide laissé par le religieux, où les médicaments ont toujours des effets secondaires, le spectateur est sous le charme de cette fantaisie, comme mémé perdant la tête pour un prestidigitateur à  qui elle réclame « une illusion par jour ». Une illusion par jour, c’est bien le rêve que nous propose le cinéma !

Magali Van Reeth

Signis

Dialogues en humanité 6-7-8 juillet Parc de la Tête d’Or

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Osons la métamorphose !
inventons la transition et apprenons la résilience comme alternatives au chaos

Changeons le monde ! C’est le moment d’ouvrir l’imaginaire, de réfléchir pour trouver des solutions, de construire du bien vivre, de re créer de nouveaux cadres de systèmes d’échanges pacifiés et non prédateurs.

L’A venir en mémoire vive
Un parcours chaque jour et en trois jours
Ce sont les thèmes qui seront abordés cette année et qui, depuis quelques années maintenant interpelle les personnes autour de cet évènement festif et convivial sous les arbres du Parc de la Tête d’Or.
Parent, enfant, étudiant, écrivain, entrepreneur, artiste, chacun s’interroge et partage sa sensibilité sur tous les sujets qui tissent les liens et les enjeux de la relation humaine.
Entre jeux, palabres et témoignages, ateliers du sensible et étapes musicales,vous pourrez partager ce que vous êtes.

En savoir plus : le programme :

Programme_Dialogues_en_Humanite_2012.pdf

Découvrir les intervenants :
[->http://dialoguesenhumanite.org/]

Le ravissement de l’été de Luisa EXTENIKE

L‘auteur, basque et espagnole, née en 1957, romancière renommée dans son pays ; Le ravissement de l’été est son premier roman traduit en français.

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Trame narrative serrée, rigoureuse, efficace, en 3 parties, chacune introduite par une citation à  la gloire du vin.
La 1ère donne la parole à  Raul Urbieta, 30 ans, qui se souvient, 15 ans après, de Fermin, fils de paysans qui, l’été, louaient leur maison à  la famille de Raul. Fermin était le camarade contraint de Raul pendant les vacances. On comprend que Raul est devenu un adulte à  la dérive ; accablé de dettes, il sollicite sa mère, qui, bien que riche, ne veut rien entendre, ayant rejeté ce fils dépravé. Prêt à  tout pour faire plier sa mère, Raul trouve un moyen de la faire chanter, sous la forme d’ un cahier de dessins de vignes réalisé par Fermin à  l’intention d’Isabel, trouvé lors d’une fouille dans le « jardin secret » de celle-ci.
En 2ème partie, Fermin est le narrateur, -nous changeons alors complètement de point de vue -, l’on apprend à  quel point Fermin a détesté Raul, et comment il a été troublé par Isabel, la mère de ce dernier, qui l’a séduit lors du fameux été des vacances. Depuis, il a perdu ses parents dans un accident de voiture, et il a cultivé la vigne qui est sa passion. Il est encore célibataire, habité par le souvenir d’ Isabel. Or voici que revient Raul, le mauvais génie, qui tente de l’utiliser pour faire pression sur sa mère et lui parle du fameux cahier de dessins. Fermin ne cède pas. Raul se venge en détruisant son chai.
La 3ème section culmine avec le récit d’Isabel . Obligé de se manifester après le passage destructeur de Raul, Fermin téléphone à  Isabel et réveille le passé. Distante au début, Isabel s’interroge sur l’émoi amoureux qu’elle a provoqué chez Fermin il y a 15 ans ; de plus, on la devine obsédée par un événement traumatisant de son enfance. L’intensité dramatique du roman se renforce, mêlant les retrouvailles d’Isabel et Fermin avec la libération du souvenir traumatisant.
Le livre tire beaucoup sa beauté de l’hymne au travail de la vigne et au goût du vin, métaphores de la lente maturation de l’amour. S’y greffe une intéressante méditation sur la mémoire et le souvenir, celui-ci ayant valeur de repère fondateur.
Et pour terminer, cette phrase de Fermin :
»Il y a des vins faits pour être gardés, qui mûrissent et se révèlent très lentement. Qui promettent dès le début et tiennent parole. »

Geneviève VIDAL

Luisa EXTENIKE Le ravissement de l’été Robert Laffont Roman (189 p)
Traduit de l’espagnol par Carole Hanna

Le Grand soir


de Benoît Delépine et Gustave Kervern

France, 2011, 1h31

Festival de Cannes 2012, sélection Un Certain Regard.

Sortie en France le 6 juin 2012.

avec Benoît Poelvoorde, Albert Dupontel, Brigitte Fontaine

Sous un mode décalé et ironique, les aventures de deux frères en marge de la réussite, lâchés dans les paysages de la consommation et de la rentabilité. Une belle ode à  ceux qui prennent de plein fouet la crise économique.

Contrairement aux médias internationaux et aux gouvernants qui, en ces temps de crise financière, essayent d’appeler à  la raison et à  l’abstinence le grand public, la plupart des réalisateurs sélectionnés pour la 65ème édition du Festival de Cannes, sont entrés en résistance contre cet appel à  la rigueur économique qui touche essentiellement les plus pauvres, ceux qui sont déjà  exclus, malades, sortis du système scolaire, en margegsoir2.jpg

Parmi eux, les deux réalisateurs français du Grand soir, Benoît Delépine et Gustave Kervern. Rien d’étonnant à  cela, si on se souvient de leurs deux précédents films, Louise-Michel (2008), réquisitoire mordant contre les spéculateurs et Mammuth (2010) longue errance d’un travailleur précaire à  la recherche de ses points retraite. Avec de l’humour, un brin de surréalisme et un soupçon de radicalisme, les réalisateurs enfoncent le clou.gsoir3.jpg

Le Grand soir, référence à  l’avènement d’une utopie politique, est la douce descente dans les enfers de la société de Jean-Pierre, vendeur de matelas (révolutionnaires !), largué par sa femme, licencié par son patron et désavoué par ses parents Heureusement, il y a son frère, Not, le plus vieux punk à  chien d’Europe, heureux de cette vie à  l’ombre de la réussite, de la consommation et d’une existence raisonnable. Ensemble, ils vont hanter ces nouveaux temples de la vie moderne, un centre commercial.gsoir4.jpg

Dans cet environnement dédié à  la rentabilité et à  l’aliénation des désirs de la population, démesuré, froid et laid, Delépine et Kervern instillent peu à  peu de la poésie, de l’intimité, de l’espérance et de la fraternité. Leurs personnages ne deviennent pas des héros parce qu’ils sont déchus mais retrouvent, dans cette déchéance, une vraie dignité. Le Grand soir n’appelle pas à  la révolution – que nos concitoyens ne sont pas prêts à  faire comme le montre une scène poignante – mais remet les plus petits au centre du débat. En redonnant toute son humanité à  un punk, à  un SDF, à  un chômeur, les réalisateurs rappellent avec une grâce ironique, toute l’humanité de ceux qui trinquent quand la finance internationale s’affole d’avoir à  perdre tout ce qu’elle a gagné sur le dos des plus humbles

Magali Van Reeth

Signis

Terre de femmes -150 ans de poésie féminine en Haïti

Très bel ensemble que les poèmes de ces 31 Haïtiennes, de la fin du 19ème siècle à  nos jours . Bruno Doucey en donne une présentation éclairante dans sa préface, soulignant le caractère d’urgence qui anime ces écrivaines, moins connues que leurs homologues masculins (René Depestre, Lyonel Trouillot, Jean Métellus, Dany Laferrière, Franketienne ).

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La mise au jour de ces écritures féminines ajoute à  la vitalité de la littérature haïtienne, francophone comme l’on sait. La tâche de ces femmes-poètes : « ravauder la beauté déchirée du monde « , écrit joliment Bruno Doucey. Et l’on sait à  quel point Haïti fut et reste secouée d’épreuves et de difficultés en tous genres, dictatures (Duvalier père et fils), violence, pauvreté, catastrophes naturelles (200 000 morts par le séisme de janvier 2010)
L’on sait aussi que les femmes reçoivent de plein fouet les difficultés du quotidien, qui leur laissent peu de répit. D’ailleurs, de trop nombreuses écrivaines d’Haïti ont cessé d’écrire une fois mariées, submergées par leurs obligations familales.
Parmi elles, certaines sont exilées en Amérique du nord ou en France.

L’anthologie répartit les auteures en 5 périodes :- avant 1915, -1915 /1934, -1934/1956, -1957/1986,-après 1986.
Les thèmes de l’amour, de la séparation, de l’attachement à  la terre, des bouleversements de l’histoire et de la nature, de la violence et de l’exil sont récurrents, avec des formes classiques ou éclatées, dans une langue française irriguée par une sensualité solaire , -sensations et émotions exacerbées-, exprimée par des images fortes, et parfois une syntaxe démembrée. Nous découvrons des univers passionnés et combatifs.
Citons quelques uns de ces noms et prénoms (souvent savoureux)

Ida Flaubert (1882-1969) en une versification classique dit les affres de l’amour , la beauté du pays natal et l’épreuve de la mort de sa fille :
« Je rêve et sans doute l’enfant sommeille ;/Pourquoi près de moi dit-on qu’il est mort ».

Emmeline Carriès Lemaire (1890-1980) a composé une Ode à  Bolivar :
« Dans l’éther Bolivar lut l’avenir comme un Dieu/ Et fut l’épée de la Liberté ».

Cécile Diaquoi-Deslandes (1907) propose des textes pleins de fraicheur :
« Les jeunes filles se déhanchent/Les vieilles femmes chuchotent,chuchotent ».

Marie-Thérès Colimon (née en 1918), enseignante, militante du droit des femmes, chante son pays : » Je dirais, torches rouges tendues au firmament/La beauté fulgurante des flamboyants ardents ».

Jacqueline Beaugé-Rosier (1932) déclare dans le poème Affirmation : « Je suis l’eau de l’avenir/sans laquelle tu n’existes pas ».

Jacqueline Wiener fait vivre la racine africaine de son peuple : » le Tam-Tam obsédant/ du tambour ».

Lilian Dartiguenave (1907) écriture de révolte contre l’injustice et la violence (son mari fut assassiné en 2000) : »renais à” ma patrie/réapprends la fierté ».
Marlène Rigaud Apollon (1945) exprime la douleur de l’exil : »Le peuple de mon pays natal /m’a appelée touriste ».

Michèle Voltaire Marcelin (1955), vit à  New York ; à  propos du séisme de 2010 : »Et la faille de la terre et celle de nos cœurs se joignirent / Et nous perdîmes notre peuple et notre terre ».

Marie-Cécile Agnant (1953), vit au Québec : « Les ongles plantées dans l’écorce de la terre/au creux du mensonge/je veux écrire/des phrases-témoins ».
Elise Suréna (1956) exprime une franche sensualité :
« J‘aime les baisers/Rhumpunch/Gourmands/ Aventureux ».

Kettly Mars (1958) , inspiration intimiste et érotique : « La passion est rouge, rouge et mouvante/ elle exulte au cœur de l’été en chute libre ».

Judith Pointejour (née à  Chicago en 1969) swingue ses vers : »Tu as divisé l’éclat de pulsations organiques/De John, Miles, Dick & Joe/All the superflies, baby ! ».

Elvire Maurouard (1971), installée en France, sur Toussaint Louverture : »Je me rappelle l’émoi des quatre murs au fort de Joux/devant le délire des Dieux devenus fous ».

Muriel Jassinthe (née au Québec en 1982) interroge son identité culturelle :
« la langue de ma mère/se tord en ma bouche ».

Une mine donc, cette anthologie, avec de surcroit des notices biographiques et une bibliographie sur la littérature d’Haïti ainsi que sur la lutte des femmes de ce pays.

Geneviève Vidal

Retour à  Cannes

A part le mauvais temps, que retenir de ce 65éme édition ? Beaucoup de bons films, mais peu qui soient réellement enthousiasmant, peu de surprise, peu de femmes mais une qualité indéniable chez les très nombreux réalisateurs présents.

La vieille garde du cinéma international, Kiarostami, Haneke, Resnais, Loach, a toujours le désir de tourner, à  défaut de révolutionner les images. Si Michael Haneke est reparti avec la palme d’or pour Amour, l’innovation était plutôt du côté d’une génération plus jeune et moins connue, comme Leos Carax (France) qui, dans Holy Motors, réussit le tour de force de rendre hommage au cinéma classique tout donnant à  voir le cinéma du futur.beasts1-2.png

Venus des quatre coins du monde, les réalisateurs de la sélection officielle ont protesté en force contre l’omniprésence des règles économiques dans la vie quotidienne. Que ce soit avec un humour rageur et Brad Pitt dans Killing Them Softly d’Andrew Dominik (Etats-Unis) ; avec l’élégance raffinée et sensuelle d’Im Sang Soo (Corée) où L’Ivresse de l’argent ne fait pas le bonheur ; avec les images d’une beauté fulgurante de Carlos Reygadas (Mexique) qui a un peu perdu les spectateurs entre lutte des classes et hymne à  la nature ; avec le sexe qui bouleverse les relations marchandes entre le Nord et le Sud dans le provocant Paradies : liebe d’Ulrich Seidl (Autriche) ; avec le huis clos sophistiqué d’un trader en limousine, isolé de la réalité du monde de David Cronenberg (Canada) et son Cosmopolis ; avec La Part des anges, comédie légère et alcoolisée où Ken Loach (Royaume-Uni) permet à  une bande de pré-délinquants de se racheter une conduite en pillant un milliardaire La morale explose dès lors qu’il faut aider les pauvres et les exclus à  trouver leur place dans le tourbillon d’un monde où priment les lois de la finance !dejca1.png

La jeune génération a réussi à  se faire une place. Peut être pas dans la compétition officielle mais dans celle d’Un Certain Regard où les pépites foisonnaient. Du Canada, Xavier Dolan a montré Laurence Anyways, une œuvre lyrique, romanesque, foisonnante (et un brin prétentieuse), histoire d’amour complexe, comme elles sont aujourd’hui, chacun voulant être soi même avant de faire le bonheur de l’autre. A l’inverse des personnages de Pablo Trapero (Mexique) avec Elefanto Blanco, célèbrent l’engagement total au service des populations déshéritées des bidonvilles sud américains, avec deux belles figures de prêtres. Les enfants saccagés, on les a retrouvés dans La Playa DC de Juan Andres Arango (Colombie), film pudique, qui insiste sur les raisons d’espérer plutôt que sur la violence. Ou dans Djeca d’Aida Begic (Serbie Herzégovine), enfants que la guerre en Europe a laissés orphelins. Avec ce deuxième film, la jeune cinéaste confirme son talent. La vraie révélation bien sûr a été Les Bêtes du sud sauvage de Ben Seitlin (Etats-Unis) qui a raflé tous les prix, d’une mention du jury œcuménique à  la caméra d’or, en passant par un prix Fipresci. L’enfance encore une fois est au cœur de ce film poétique, lumineux, célébrant la liberté et la part animal que l’homme moderne a oublié dans une urbanité toujours croissante.elefanto1.png

Bref, un Festival de Cannes moins décevant qu’il n’y parait puisqu’il a donné toute sa place à  une jeune génération, prête à  bousculer le ronron cannois et les grands maîtres, pour le plus grand plaisir des festivaliers et des spectateurs.

Magali Van Reeth

Signis