C’est à  dire de Franck VENAILLE

Franck Venaille, né en 1936, nous offre le 34ème recueil d’un œuvre poétique majeure de notre époque,-signalons La guerre d’Algérie (1978), La tentation de la sainteté (1985), La descente de l’Escaut (1995). Nombreux prix, dont celui de l’Académie française en 2011.

CVT_Cest-a-dire_2421.jpg

Ressurgit l’enfance du poète, enrégimentée, bafouée :
« Je/ m’étais habitué à  cette ceinture de crin/ qui emprisonnait mon corps »
Mal de vivre qui persiste, et que n’effacent ni l’amour charnel, ni le charme de la Flandre et de la mer du Nord.
Fluidité, structure, musique, un acharné travail de la langue : rythmes lents ou hachés, textes en prose, onomatopées, mises en page et typographie travaillées.
Une matière riche, fortement expressive vient nous chercher dans notre part pulsionnelle et émotionnelle. Ce qui résonne avec l’enfance, la maladie, la barbarie, la déchéance, le poète nous le transmet sans détour, avec sarcasme et ironie. Et cela chante, malgré tout !
« J’étais un homme aimant et fragile/j’étais celui-là / fuyant l’ancien enfant demeuré en lui. »
Cette œuvre transmet l’écho des voix de Jules Laforgue, Maurice Maeterlinck, Pierre Jean Jouve, Rainer Maria Rilke.
Voici ce que dit Franck Venaille de sa poésie :
« Ne jamais se compromettre avec les facilités offertes par le langage Je suis de l’écriture. Dans l’écriture. C’est mon seul bien »

Geneviève VIDAL

Franck VENAILLE C’est à  dire Mercure de France 2012 Poésie (169 p.)

La Terre outragée

de Michale Boganim

Ukraine/Pologne/France, 2011, 1h48

Prix du public au Festival Premiers plans d’Angers

Sortie en France le 28 mars 2012.

avec Olga Kurylenko, Andrzej Chyra, Ilya Iosifov.

A mi-chemin entre la fiction et le documentaire, sautillant entre le bonheur passé et l’espérance brisée de l’avenir, une évocation poignante du drame de Tchernobyl.

Jusqu’en avril 1986, les habitants de la petite ville de Pripiat en Ukraine vivaient heureux et insouciants à  l’ombre d’une centrale nucléaire. C’était la grande époque de l’Union soviétique où, sur d’immenses panneaux publicitaires, s’étalait cette phrase de Lénine : « le communisme, c’est le pouvoir soviétique, plus l’électrification de tout le pays ». Paysans, ouvriers et soldats, repus de propagande, vivaient heureux et insouciants sur la terre de leurs ancêtres.terreoutragee1__Les_Films_du_Poisson_Photo_Baruch_Rafic__DSC_1014__mariage.jpg

Le drame de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl est évoqué à  travers le personnage d’Anya. Plus qu’un film militant sur les dangers du nucléaire, La Terre outragée utilise les ressorts de la fiction pour dire la souffrance de ceux qui ont vécu cette catastrophe de l’intérieur. Incompréhension face à  l’ampleur du danger, incrédulité, perte d’un être aimé, de son logement, de ses repères et de sa santé, c’est à  travers la douleur intime que l’histoire est racontée.

Jeune femme de Pripiat, la ville la plus proche de la centrale, Anya prépare son mariage. Autour d’elle, les habitants semblent vivre un printemps simple et sans histoire particulière. On va à  la pêche, on lave son linge dans la rivière, on nettoie les ruches, on sort les vaches dans le pré. Vision quasi idyllique d’une époque révolue, si ce n’était cette masse de béton et de fer qui fait un peu tâche dans le paysage et induit, dès les premières images du film, une inquiétude sourde. Et le 26 avril, Anya se marie avec le jeune homme qu’elle aime. Elle porte une belle robe blanche, on fait la fête sous une bâche. Le jeune marié est appelé en urgence pour éteindre un incendie et Anya ne le reverra jamais. Après quelques jours d’incompréhension et de panique, tous les habitants sont évacués et la zone est fermée.terreoutragee2__Les_Films_du_Poisson_Photo_Maxim_Donduyk__041_DON_6534__valery_a_Prypiat.jpg

Au-delà  des risques sanitaires, ce qui frappe dans le film, c’est l’attachement au lieu qui pousse certains à  rester, d’autres à  y revenir, malgré les risques. Dès qu’une partie de la zone interdite est rouverte en 1996, Anya revient pour y être guide mais on sent surtout chez elle une impossibilité à  quitter définitivement ce lieu, comme s’il était une part d’elle-même qu’elle oublierait alors. Une attirance morbide pour le bonheur d’une vie passée qui rend impossible tout futur. L’ancien garde-forestier lui a carrément refusé de partir et consomme avec gourmandise sa nouvelle récolte de pommes. Enfin, à  cause d’un contexte économique dramatique, des familles entières de clandestins entrent illégalement dans la zone interdite (et contaminée) pour investir des fermes abandonnées et s’y installer. La radioactivité, qu’on ne voit pas, qu’on ne sent pas, niée par les gouvernements de l’époque, est aujourd’hui ignorée par des individus qui n’ont pas d’avenir ailleurs.

Le film est tourné au plus près de la zone interdite, dans cette ville de Pripiat, amas de ruines en béton où la végétation sauvage envahit l’espace que les habitants ont dû fuir. Un lieu propice aux fantômes, à  la désolation, qui évoque le gâchis et la démolition. Démolition des murs qui se fissurent faute d’entretien mais surtout démolitions des êtres irradiés et des survivants qui ne sont plus que les ombres de leur jeunesse saccagée. A l’image d’Anya, dont le corps s’étiole peu à  peu mais qui revient toujours vers ces lieux maudits, incapable de partir.terreoutragee3__Les_Films_du_Poisson_Photo_Maxim_Donduyk__27_DON_4062__roue.jpg

Michale Boganim est une jeune réalisatrice israélienne, née en Ukraine et ayant longtemps vécu en France. Cette notion d’attachement à  un lieu, et donc la conscience d’une perte irrémédiable, lui est familière. La Terre outragée est un film doublement nécessaire. Il évoque la catastrophe de Tchernobyl et les dangers de l’industrie nucléaire mais aussi ceux de la nostalgie : « On a été heureux là -bas », faut-il pour autant se tuer à  y revenir ?

Magali Van Reeth

Signis

Musique au cœur pour Bouée d’Espoir Lyon

La délégation lyonnaise de Bouée d’Espoir organise dimanche 22 avril à  16 h

un concert sous le signe de l’Italie et interprétera «Una Follia a Roma

, un voyage en Italie pour deux flûtes et piano ».

Diapositive1-21.jpg

Le trio composé des flutistes, Clémence Cartade et Nicolas Gabaron et de Rémi Geoffroy au piano a choisi de nous faire voyager en Italie, où bel canto et opéra se mêlent harmonieusement avec le burlesque et comique typiquement transalpin, en passant par le lyrisme de la Barcarolle de Chopin.

Nicolas Gabaron est professeur diplômé d’Etat de flûte traversière. Il se produit en musique de chambre ainsi qu’en formation orchestrale depuis quelques années dans la région lyonnaise. Diplômé en musique ancienne, Nicolas Gabaron est également interprète en flûte traversière baroque.

Clémence Cartade a suivi des études musicales de flûte et de viole de gambe au Conservatoire de Grenoble. Elle se produit régulièrement lors de concerts de musique de chambre parallèlement à  son parcours universitaire en droit à  Lyon.

Rémi Geoffroy est titulaire du Diplôme National d’Études Supérieures Musicales obtenu au Conservatoire National Supérieur de Lyon. Il est également le fondateur du trio Kang (vilon, violoncelle, piano) qui se produit dans de nombreuses manifestations et festivals.

Le concert aura lieu dans le hall de l’Hôpital Privé Jean Mermoz, 55 bd Jean Mermoz, 69008 Lyon.

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à  contacter la délégation lyonnaise sur son
mail : [->contactlyon@boueedespoir.org ]

2ème carrefour musical de Kodaly

A l’occasion de son 10ème anniversaire, en partenariat avec le Conservatoire à  Rayonnement Régional de Lyon et l’Amitié France-Hongrie Rhône-Alpes) l’association « La voix de Kodaly en France propose leur 2ème carrefour musical

samedi 31 mars et dimanche 1er avril

kodaly1-300x168.jpg Zoldan Kodaly

Au programme :

Samedi 31 mars au CRR de Lyon 4 montée Cardinal Decourtray Lyon 5ème

14 heures : Conférence de Claude Dauphin, professeur à  l’Université du Québec à  Montréal sur le thème : Kodaly et Rousseau : convergences musicologiques et pédagogiques.
16 h 30 : Récital de piano par Gilbert de Greeve, professeur du Conservatoire Royal d’Anvers qui proposera des oeuvres du XXème sicèle commentées.

Dimanche 1er avril à  20 h 30 à  l’Auditorium Lumière (Cité Internationale)

Concert d’oeuvres de Zoltan Kodaly sous la direction de Bernard Tétu, par la Maîtrise, le choeur de jeunes et l’orchestre symphonique du CRR de Lyon avec le choeur d’Oratorio de Lyon :
Au programme : Psalmus Hungaricus, danses de Galanta, danses de Kallo.

Plus de renseignements.[->http://www.kodaly.fr/]

La voie nomade et autres poèmes

Anne Perrier, née à  Lausanne en 1922, vient de recevoir à  Paris le Grand prix national de la poésie, une belle reconnaissance de la place qui lui revient au cœur de la poésie francophone.

La_voie_nomade.jpg

Les lecteurs français ont accès depuis 1996 au recueil de ses œuvres complètes, réédité en 2008 sous le titre La voie nomade et autres poèmes. Gérard Bocholier, qui le préface, confie son « éblouissement » devant cette œuvre qui veut être « une seule note, un seul chant d’oiseau », rêvant « d’épouser le monde entier au point de devenir le pur Amour, dont les battements mêmes seraient poème ».

S’il est au monde une souffrance
Je suis en elle
(Le petit pré)

Pour Philippe Jaccottet, depuis longtemps attentif à  sa poésie, Anne Perrier est « quelqu’un qui écoute, un peu à  l’écart du monde, ce que le plus pur du monde, à  voix basse, dicte à  son cœur » (Une transaction secrète, lectures de poésie, 1987).

Ce monde, écoutons-le à  notre tour par l’intermédiaire de cette voix limpide qui chemine, dans l’humilité et l’exigence, dans la douceur et la révolte, sur la « voie nomade » qu’elle a choisie et qu’elle nous propose d’emprunter :

Ce n’est pas l’ombre que je cherche
Ni l’humble signe
De la halte sous les palmiers
Tranquilles ni l’eau ni l’ange
Gardien d’oasis
Je cherche le chemin qui dure
Toujours toujours toujours

(La voie nomade)

Anne Perrier, La voie nomade et autres poèmes : œuvres complètes 1952-2007, préface de Gérard Bocholier, L’Escampette Éditions, 2008, 23 €.

Marie-Ange Sebasti

Concerts pour la Semaine Sainte

img176.jpg

L‘ensemble baroque Orante et l’Eglise Saint Polycarpe des pentes de la Croix Rousse propose des

Célébrations en concerts pour la Semaine Sainte..

Jeudi 5 avril 20 heures
Vendredi 6 avril 20
heures

Au programme :

Leçons de Ténèbres de F. Couperin
Airs de Cantates de J.S. Bach

Sonates pour violon et basse continue de BACH, RIBER, SCHMELZER, LECLAIR

Participation libre.

Les Adieux à  la reine

de Benoît Jacquot

France, 2011, 1h40

Ouverture de la Berlinale 2012

Sortie en France le 21 mars 2012.

avec Diane Kruger, Virginie Ledoyen, Léa Seydoux.

Versailles, juillet 1789. A la cour du roi Louis XVI, il faudra quelques jours avant que les événements de la Bastille viennent chahuter les habitudes, les princesses et les servantes. Et amorcer une révolution.

reine5.jpgLes films de Benoît Jacquot peuvent dérouter certains spectateurs. Il peut être difficile de trouver un lien commun à  des films aussi différents que La Fille seule (1995), Le Septième ciel (1997), La Fausse suivante (2000), Adolphe (2002), Villa Amalia (2009) ou Au Fond des bois (2010). Grand lecteur, le cinéaste aime porter des romans à  l’écran et dans les romans, il est plus sensible à  une ambiance, à  des nuances, qu’à  la vigueur d’une trame narrative. Pas de militantisme ni de message, si ce n’est le plaisir de faire du cinéma et de le faire en cinéaste amoureux du mouvement, de la lumière, de la mise en scène et du jeu des acteurs.

Des actrices surtout puisque c’est généralement elles qui ont les premiers rôles dans ses films. Ici, elles sont nombreuses, magnifiées dans leur charme, leur sensualité et leur pétillance. De Léa Seydoux, la plus novice, à  Martine Chevallier la plus experte. Diane Kruger est une Marie-Antoinette qui à  l’âge et l’accent qui conviennent, passant de la frivolité à  la raison dans la même scène et donnant toute sa fragilité au personnage. Julie-Marie Parmentier est un feu follet qui anime tout sur son passage, Noémie Lvovsky à  son aise en gardienne du temple et Virginie Ledoyen est une apparition solaire qui ternit les reflets de la galerie des glaces à  son passage. Mais justement, dans Les Adieux à  la reine, le rôle principal est attribué à  ce lieu unique qui sous-tend tout le film, le château de Versailles. L’un des monuments les plus visités du monde, demeure historique des rois de France, il est à  la fois le symbole du pouvoir royal et honnis, et la preuve éclatante de l’excellence des artisans, créateurs et bâtisseurs d’une époque révolue.reine3.jpg

Dans ce lieu ambigu, le réalisateur peut mettre en scène toute la dramaturgie du roman éponyme de Chantal Thomas. Quatre jours de juillet 1789 où, dans un monde clos et figé, les événements extérieurs vont faire vaciller un univers qu’on croyait immuable. C’est la marque des vraies révolutions, celles qui surprennent comme un séisme et bouleversent irrémédiablement l’ordre établi. Versailles est un château où habitent des milliers de personnes, grouillant autour de la famille royale. Des servantes dans les combles, des palefreniers dans les caves, des courtisans dans les placards et un archiviste dormant dans ses rayonnages. C’est le lieu idéal où s’épanouissent rumeurs, jalousies, intrigues : complots et bassesses assurés à  tous les étages pour ramasser les miettes d’affection de la reine.reine6.jpg

Benoît Jacquot capte les frémissements de la prise de la Bastille, dès la nuit du 14 juillet, dans ce bel ordonnancement. Les fêlures qui vont précipiter la chute du régime. Pas pour le regretter ou pour prendre partie mais pour montrer, dans les réactions les plus infimes et les comportements les plus ordinaires, la complexité des sentiments et la force d’un élan collectif. Pas besoin de montrer le peuple en colère, il restera hors champs et n’en acquière que plus de force quand on ne le ressent que dans les volte-face des personnages de la cour, grands ou petits.

Les costumes sont à  la hauteur du décor et les actrices portent avec aisance et naturel des robes splendides. On est émerveillé par le traitement de la lumière, que ce soit sur le visage des personnages ou dans les diverses pièces du château. Benoît Jacquot et son équipe technique ont soigné les éclairages pour qu’ils rendent au mieux la particularité de la flamme, omniprésente alors. Feu de cheminée, de bougies ou rayons du soleil entrant par la fenêtre, on a sans cesse l’impression que la lumière est encore plus belle et plus naturelle qu’en vrai ! C’est un ravissement d’un bout à  l’autre du film.

reine2.jpgSur le fond, on peut trouver qu’on n’aura pas appris grand-chose sur la Révolution française. Là  n’est pas le propos du réalisateur. Pour Benoît Jacquot, Les Adieux à  la reine, c’est avant tout vivre de l’intérieur, jusque dans la lumière particulière de cet été là , l’effritement d’un monde et de ceux qui l’ont incarné.

Magali Van Reeth

Signis

« GERTRUDE ET LE PLUMEAU »

LA COMPAGNIE LE PUITS JOUERA SON SPECTACLE

Diapositive1-20.jpg

VENDREDI 30 MARS 2012 à  20H00

Eglise Sainte Elisabeth
Angle rue Henon et rue Philippe de la Salle
Prix des places : Adultes : 10 € /Réduits parents des enfants : 8 € / Enfants : 5 €

Réservation : 06 85 30 26 20

[->http://www.compagnielepuits.com/]

« En écrivant Gertrude et le plumeau, nous avons eu envie d’explorer et de partager la trajectoire tracée par Dieu et les hommes dans l’histoire de l’humanité.
Nos questions étaient :

 Quel est le sens de l’histoire ?

 Que nous dit la Bible de la Genèse à  l’Apocalypse sur le salut des hommes ? » Mary Vienot

Ah ! La famille…

Pour sa troisième édition, les Journées Cinéma et réconciliation de La Salette ont choisi d’explorer le thème de la famille à  travers une dizaine de films.

Choisis par les intervenants dans le catalogue du répertoire classique ou contemporain, ces films reflètent la diversité des familles et de la complexité des relations qu’on y tricote, entre drames et quotidien. Dans une ambiance chaleureuse et dans un cadre grandiose, c’est une occasion unique de partager sa passion pour le cinéma !

De l’Europe, avec Secrets et mensonges de Mike Leigh ou L’Enfant des frères Dardenne, jusqu’au Japon avec Departures de Yohiro Takita, il y aura aussi de la place pour les films d’animation ou le monde fantastique de la saga de Narnia. Chaque film est présenté par un intervenant et suivi d’une discussion. Tout le monde peut participer. L’entrée aux projections est gratuite (participation souhaitée).

Cette année, des ateliers cinéma sont proposés aux adultes et aux enfants, en plus des projections.

Ah ! La famille…. Les journées Cinéma et réconciliation ont lieu du samedi 28 avril au mardi 1 mai, au sanctuaire Notre Dame de la Salette en Isère.

Programme et inscription sur le site de La Salette http://lasalette.cef.fr/spip.php?rubrique491

Contact par courriel : contact@cine-salette.com

Téléphone : +33 687 83 38 32

38 témoins

de Lucas Belvaux

France, 2011, 2h09

Sortie en France le 14 mars 2012.

avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia.

Un film fort, dénonçant la lâcheté ambiante et redonnant tout son sens à  la justice, lorsqu’elle est au service de la société et non pas un instrument de vengeance personnelle.

C’est toujours avec une certaine fébrilité qu’on va voir le nouveau film de Lucas Belvaux. On se souvient avec émotion de la trilogie Un Couple épatant, Après la vie et Cavale (2003) qui, à  travers une vaste fresque de trois longs métrages, donnaient différents points de vue sur un même événement. Dans La Raison du faible (2006) et dans Rapt (2009), le réalisateur belge montrait qu’aucun genre ni acteur ne l’intimidait. 38 Témoins ravit nos attentes par un récit prenant et de bons acteurs qu’on ne voit pas souvent. Mais surtout, le film soulève de nombreuses questions de société qui deviennent vite, à  travers la fiction, des cas de conscience et des questions morales très complexes. La réflexion sur le rôle de la justice est particulièrement pertinente.38Temoins_photo5_c_Kris_Dewitte.jpg

Une nuit d’hiver, au Havre, une femme est assassinée au pied d’un immeuble, dans une rue où se trouvent d’autres immeubles d’habitation. Pourtant, aux questions de la police et de la presse qui arrivent sur place dès le matin, personne n’a rien vu, rien entendu, rien remarqué. Une journaliste enquête, c’est Nicole Garcia, parfaite dans ce rôle, bien différent de ceux qu’on lui demande de jouer d’habitude. Un couple parmi les nombreux riverains, Louise qui était en voyage ce soir-là  et Pierre, son fiancé, plutôt taciturne. C’est Sophie Quinton, tout en blondeur juvénile, respirant l’innocence, et Yvan Attal, un homme rongé douleur, enfermé dans ses questions.

38Temoins_photo3_c_Kris_Dewitte.jpg38 témoins a été tourné au Havre, en utilisant au mieux la géographie de la ville. Les scènes alternent entre celles tournées au pied des immeubles, dans les rues aux lignes droites et reposantes, tout en modernité désuète, où chacun reconnait son voisin, où l’architecture est à  taille humaine, c’est à  dire adapté à  l’usage qu’en fait l’homme, à  sa mesure. Et les scènes faces à  l’océan, les grues du port, les quais immenses, la lumière grise où, les jours de gros temps, le ciel rejoint la mer. Cet immense espace est parcouru par des monstres métalliques venus du monde entier pour ravitailler les habitants de la ville, de toute l’Europe. Ici, chacun est seul face à  soi-même, dans un environnement non dompté, où les éléments sont sauvages. Là , Pierre doit guider des bateaux de 200 mètres de long, avec un remorqueur qui semble alors minuscule, jusqu’au quai de déchargement. Tout repose sur lui, comme dans l’enquête sur le meurtre : que peut-il face au silence et à  l’incompréhension des autres ?

Habité par sa faute qui lui fait perdre le sommeil, Pierre met au centre du film l’idée même du sens de la justice. Est-il juste de condamner le silence ? Faut-il préserver notre confort immédiat ou écouter notre conscience ? Et oui, Pierre a une conscience et il semble bien être le seul ! Le film donne aussi la parole à  un procureur qui laisse exploser sa colère contre la lâcheté devenue un fait de société, ou ceux qui veulent tout juger pour comprendre : « A quoi ça sert de comprendre ? On ne comprend jamais rien ! ». Tout est rendu plus complexe par le rôle de la presse qui use parfois si malhabilement de son pouvoir sur l’opinion.38_Temoins_photo9_c_Kris_Dewitte.jpg

Le film évoque aussi l’inconstance des amours immatures, ceux qui affirment avec une calme détermination « je ne te quitterais jamais » et qui, quelques jours plus tard, annoncent « je te quitte », avec la même assurance et sans l’ombre d’un doute ou d’un remords Lorsque les médias prônent l’amour fusionnel et transparent, le dialogue et l’harmonie, comment affronter la difficulté, le silence et la peur ?

Pierre est un homme honnête, malgré sa faute, mais à  contre courant de ce qu’on attend aujourd’hui. La souffrance des autres nous est devenue si insupportable qu’on la dénie. On ne console plus celui que la douleur a envahi mais on lui conseille de se soigner, d’aller « voir quelqu’un » et on lui prescrit 15 jours d’arrêt maladie et des médicaments pour se détendre On traite les symptômes, pas la racine du mal. On préfère le silence ou le mensonge qui ne change rien, plutôt que la parole qui fait mal et bouscule.

38Temoins_photo6_c_Kris_Dewitte.jpgAvec ce film, Lucas Belvaux fait de nous, spectateurs, « des témoins de témoins » et nous renvoie à  nos propres lâchetés, à  nos craintes, à  nos mensonges. Mais à  travers Pierre, ce personnage digne, droit dans ses bottes de pluie, capable de guider un bateau monstrueux pour l’amener « à  bon port », il nous montre une porte de sortie : il est toujours possible d’aller à  contre-courant du mutisme ambiant pour parvenir à  une meilleure façon de vivre ensemble.

Magali Van Reeth

Signis