d’Alice Rohrwacher
Suisse/Italie/France, 1h40, 2011.
Festival Religion Today, mention du prix Signis 2011.
Sortie en France le 28 décembre 2011.
avec Yle Vianello, Salvatore Cantalupo, Anita Caprioli.
Une très jeune fille cherche la traduction de ces mots appris au catéchisme « Eli, Eli, lama sabachthani ? » qui résonnent étrangement dans son adolescence et dans la ville où elle vient d’emménager.
Dès les premières images du film, la réalisatrice nous intrigue. Nous sommes en Italie, un jour d’hiver gris et froid. Une procession catholique se prépare dans une ces friches urbaines, à la fois en chantier et en ruines, signes d’une modernité désespérée. Même les haut-parleurs grésillent d’une façon insupportable Dans cette Calabre loin des clichés touristiques, une jeune fille de 13 ans, Marta, lumineuse par la finesse de son teint, la couleur de ses cheveux, et sa jeunesse, attire le regard.
Corpo celeste est le premier long-métrage d’une jeune réalisatrice italienne. Elle utilise finement la géographie d’une ville saccagée par manque d’anticipation et de moyens, avec le bouillonnement interne d’une adolescente devant faire des choix. Alice Rohrwacher : « Sous la maison de Marta, comme une cicatrice sur le ventre de la ville, court le lit d’une rivière asséchée (ou fiumara). C’est là que les gens jettent tout ce dont ils n’ont plus besoin et qui pourrait servir à d’autres. D’autres fiumari traversent la ville. Ils sont larges, presque toujours à sec, formant des trous béants autour des maisons. En y regardant de plus près, ce ne sont pas des no man’s land, au contraire, ils sont plein de vie : de déchets bien sûr, mais aussi de jardins, de potagers secrets, de cabanes. Ce sont des endroits où la nature apparaît dans toute sa force et sa contradiction. Pour moi, c’est un lieu magnétique, ambigu et constamment en changement. Sans aucun doute un espace qui intrigue et attire Marta. Terrain de jeux pour des adolescents, comme des points à l’horizon, leurs mouvements microscopiques la fascinent, bien au delà de ce que lui propose son quotidien. Comment entrer dans cet espace, comment choisir à quel monde appartenir ? »
Marta, qui a toujours vécu en Suisse, vient de revenir avec sa famille, dans son village d’origine. Cette émigration du retour est un phénomène récent. Soumis à des difficultés économiques dans leur pays d’accueil, les Italiens reviennent chez eux où ils peuvent bénéficier du soutien de leurs familles. Marta se prépare à la confirmation dans la paroisse du quartier, au sein d’une équipe où elle pourra se faire de nouveaux amis. La découverte d’un autre univers est source de richesse et de souffrance, elle réalise qu’elle peut faire des choix, qu’elle est entrain de quitter le monde de l’enfance.
Dans cette histoire, il y a aussi un questionnement sur la façon de faire église aujourd’hui. La paroisse où Marta prépare sa confirmation est gérée par un jeune prêtre, sans état d’âme, le regard porté sur une promotion, plus soucieux de comptabiliser les votes en faveur d’un candidat aux élections locales que d’élever ses ouailles vers des problématiques plus spirituelles. Il doit faire face à ses paroissiens qui ne veulent plus d’une croix en néon derrière l’autel de l’église et réclament un crucifix traditionnel. Pendant ce temps, les catéchistes s’échinent à faire apprendre par cœur les « réponses correctes » à des adolescents qui ont du mal à refouler la bêtise de leur âge Dans un très beau hameau ancien et désert, où Marta et le jeune prêtre viennent chercher un crucifix (dans le pur style des bondieuseries du 19ème siècle), un autre prêtre, plus âgé et encore plus solitaire, donne à la jeune fille une autre clé pour comprendre la figure du Christ.
Si la réalisatrice porte un regard acerbe sur l’exercice de la religion catholique aujourd’hui en Italie, elle montre aussi qu’elle en connaît parfaitement les symboles et les enjeux. Le film se termine au matin de Pâques, par le passage de Marta à travers l’eau d’un fiumara pour déboucher vers l’espace immense et plein de promesses de la mer.
Magali Van Reeth
Signis