d’Abd Al Malik avec Marc Zinga Sabrina Ouazani
(France 2014 1h36).
Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon
Abd Al Malik est un jeune rappeur d’origine congolaise, âgé aujourd’hui de 38 ans, lauréat des Victoires de la musique et qui a grandi au Neuhof, cette banlieue de Strasbourg souvent la proie de feux de voitures la nuit du Nouvel AnElevé seul avec ses deux frères par sa mère catholique, il s’appelait alors Régis. Surdoué, il intègre une classe préparatoire, fait des études de philosophie tout en montant en même temps un groupe de rap. Il se tourne un temps vers l’islam radical, côtoie les dealers de sa cité, flirte avec la drogue, voit ses amis mourir.. Il change alors de nom, devient Abd Al Malik.
Mais son goût pour la réflexion, la poésie, les textes littéraires vont l’entraîner à approfondir les fondements de l’islam, étudier le soufisme au Maroc et devenir celui qu’il est aujourd’hui : un être profondément ouvert, tolérant et profond qui ne renie en rien ses origines, se sent bien en France : mon pays, dit-il, au point de lui faire cette déclaration : « Qu’Allah bénisse la France »
C’était le titre du livre qu’il a écrit en 2004 et qui raconte son histoire. Aujourd’hui sort le film qu’il réalise et dans lequel il a confié à Marc Zinga son propre rôle.
Autant «Timbuktu » pouvait être ressenti comme un film montrant l’impuissance face au djihadisme autant celui-ci est plein d’espoir.
C’est en noir et blanc qu’ Abd Al Malik a voulu tourner en référence à La Haine, ce film de Mathieu Kassowitz qui l’avait marqué et en référence aux films néo-réalistes italiens : Rocco et ses frères etc
C’est une vision de l’intérieur de la vie de cette cité qu’il connaît bien que nous donne le chanteur faite de violences, de galères et de débrouilles pas toujours légales et dont il est parfois complice. Mais c’est surtout la « conversion » intérieure de ce jeune homme qui nous est montrée : de l’islam radical, il évolue grâce à l’amour d’une jeune fille de la cité, au soutien et à la confiance de sa professeur de philosophie vers un approfondissement de sa foi, une étude des textes coraniques, jusqu’à aller passer quelques mois au Maroc s’imprégner de la spiritualité du soufisme.
Les images en noir et blanc accentuent le côté sombre de l’histoire et en même temps lui donnent une dimension exigeante et réaliste. Ces jeunes des cités ont une culture, une musique, une vie collective qui leur est propre. Il faut parfois s’accrocher pour comprendre ce parler des ados mâtiné de langage verlan et d’accent strasbourgeois ! Mais regarder ce film nous montre la complexité de leur situation et l’abîme qui les sépare de la société organisée
Abd Al Malik n’oublie pas ses copains morts de mort violente : un lent défilé des visages de tous ces disparus ponctue l’enterrement de Rachid, un de ses amis abattu par un caïd..Il aurait pu être à sa place.
Oui, mais voilà , il a fait le pari de la vie, comme lui fera remarquer son professeur de philosophie, il a fait celui de chanter, d’écrire. Et par ce film de témoigner et de rendre grâce pour son pays : « Qu’Allah bénisse la France » . Pari émouvant et réussi.