de Rachid Bouchareb
France/Algérie, 2013, 1h58
Sélection officielle Berlinale 2013
Sortie en France le 7 mai 2014.
avec Forset Whitaker, Brenda Blethyn, Harvey Keitell.
Dans l’aridité d’un paysage désertique, un homme cherche une rédemption que la société et les individus lui refusent. Une belle mise en scène et des acteurs justes pour une question morale toujours d’actualité.
Trois personnages dans les paysages arides du Nouveau-Mexique, dans le sud des États-Unis. Garnett sort de prison, en liberté conditionnelle après 18 années de réclusion pour meurtre et une jeunesse de délinquant. Le shérif Bill Agadi est un monument respecté dans une région où il faut sans cesse s’interposer entre les migrants illégaux et les groupes paramilitaires qui surveillent, illégalement, la frontière. Et Emily Smith, agent chargée de contrôler les détenus en liberté conditionnelle. Peu à peu, et avec une belle mise en scène, chacun d’eux existe avec plus de densité, plus de complexité à l’écran.
Pendant ces années de détention, Garnett s’est converti à l’islam. La religion lui permis de se calmer, d’essayer de sortir de l’engrenage de la criminalité. Il aspire à une vie simple, une famille, une maison, un chien. On réalise vite que la prière lui permet de canaliser la violence qui le ronge et que sa foi est un outil, plus qu’une une espérance ou une révélation. Le shérif, qui applique avec sérénité la loi face aux problèmes de l’immigration, ne comprend pas comment l’homme qui a tué son adjoint puisse retrouver la liberté au bout de 18 ans. Emily Smith, avec bonhomie et fermeté, va tout faire pour que les provocations de l’un ne pousse pas l’autre à bout.
Si le réalisateur s’est inspiré du film Deux Hommes dans la ville de José Giovanni (1973), il a su actualiser la douloureuse thématique. Il est toujours aussi difficile pour un condamné de changer de vie, de recommencer sur une autre voie. Les pièges des anciens comparses et le ressentiment des victimes élèvent de nouveaux murs autour de ceux qui cherchent une rédemption. Dans ce film, le mur est physiquement présent puisque c’est celui construit par les Etats-Unis à la frontière avec le Mexique pour empêcher le passage des migrants. Condamnés pour crimes ou condamnés par la pauvreté, des êtres en perdition se heurtent sans cesse au mur de l’égoïsme, au refus du partage. Comme la justice d’une société se heurte toujours à celles des individus. Rachid Bouchareb : « Je crois au destin, au mektoub. Quand on a mal enclenché sa vie, il est parfois impossible d’en changer le déroulement implacable. Il y a les damnés de la terre. Dans ce sens le titre du film, La Voie de l’ennemi, est symbolique. L’ennemi est intérieur. Garnett est en effet son pire ennemi. Et c’est ça le cœur du film. »
Malgré quelques maladresses dans le scénario, La Voie de l’ennemi montre bien l’enfermement de ces hommes qui sortent de prison. En liberté conditionnelle ou ayant purgé leur peine, ils sont trop souvent confrontés à la violence d’une société qui les refuse toujours, à des individus qui voudraient que la justice d’état soit conforme à leurs émotions. Deux scènes particulièrement poignantes. Celle où Garnett retrouve sa mère que la douleur a brisée et celle, sans parole, où Garnett, envahi par sa propre violence, ne peut plus prier. Silence de la mère et silence de Dieu, que peuvent faire ces êtres fragiles et défaits lorsqu’il n’y a plus le réconfort de l’amour ?
L’affiche met en avant les acteurs américains Forest Whytaker (Garnett) et Harvey Keitel, parfaits dans leurs personnages mais c’est l’actrice britannique Brenda Blethyn qui est la plus impressionnante. Chez Mike Leigh, en 1996, elle était la mère délabrée et épouvantée de Secrets et mensonges, et avait obtenu le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour ce rôle. Ici, à plus de 60 ans, elle est une époustouflante Emily Smith : ronde et douce dans son apparence physique, ferme et juste dans ses actes. Dans l’une des premières scènes du film, elle apparait, splendide dans son âge et son embonpoint, radieuse dans son sourire, d’un calme contagieux, à l’égal du coucher de soleil dans le paysage grandiose qui l’enserre… Et la scène où elle engueule le shérif dans son bureau est tout aussi mémorable !
Dans ces décors de western mais au-delà de tout romanesque, La Voie de l’ennemi pose un problème moral et montre combien les voies de la rédemption sont tortueuses. La méchanceté et la perversion franchissent facilement les murs et les barrières que les hommes ne peuvent escalader.
Magali Van Reeth
SIGNIS