De Yolande Moreau
France/Belgique, 2012, 1h47
Festival de Cannes 2013, Quinzaine des réalisateurs.
Sortie en France le 4 décembre 2013.
avec Candy Ming, Pippo Delbono.
Étrange rencontre entre une jeune handicapée, très déterminée et un homme bien fatigué, pour une promenade, entre chien et loup, sur les plages du Nord.
Lorsqu’elle entre dans le film, elle n’a pas de nom propre, c’est juste « un papillon blanc », du nom de l’institution d’où elle vient, qui accueille des adultes handicapés mentaux, comme elle. Elle a été embauchée pour donner un coup de main dans un restaurant. Elle aura à cœur, pendant tout le reste du film, de devenir un vrai personnage, de prendre son envol de grande personne à part entière, d’avoir un nom à elle. Rosette. Comme sa lointaine cousine, la Rosetta des frères Dardenne, c’est une cabossée de la vie, dans un environnement qui l’est tout autant. Si elle ne porte pas de collants orange vif, comme elle, elle devra lutter pour imposer sa vision du monde.
C’est le deuxième long-métrage de l’actrice et réalisatrice belge Yolande Moreau, après Quand la mer monte (2004). Elle pose son histoire chez elle, dans les brumes mélancoliques du Nord, où on trompe l’ennui avec des copains et beaucoup de bières. Le mal de vivre est poisseux comme les tables des cafés et si les fêlures sont minuscules, elles sont si nombreuses que ça fait vite un gros terril. Des personnages rudes, un peu bêtes mais pas méchants. Ils sont ancrés dans une sinistre réalité économique et sociale. Peu de dialogues, des images composées avec soin et, ça et là , des moments de grâce : le souffle d’un courant d’air dans un rideau de voile blanc, l’envol des pigeons voyageurs, la mer du Nord. Ou, à la sortie de l’église après un enterrement lorsque la seule musique qu’on entende est celle « d’un concert de lieux communs »
Dans cette atmosphère burlesque, astringente et poétique, la tension du drame n’est jamais loin et les situations frisent parfois l’outrance, sans jamais y tomber. Comme tout le monde, Rosette veut être aimée, elle a envie d »une vie ordinaire, même si pour ça, elle doit mentir et manipuler les moins tenaces qu’elle, dont Henri, qui ne demandait rien. Yolande Moreau : « Les personnes handicapées mentales m’ont toujours fascinée. Ils sont le reflet de notre propre désarroi. J’ai senti très vite le danger, les pièges à éviter : je ne voulais pas dépeindre le monde des handicapés comme quelque chose de pseudo-poétique, de mignon. Je voulais un film âpre. Il me fallait les filmer à la bonne distance, proche mais sans sensiblerie ni mièvrerie. » Si le personnage de Rosette est interprétée par la chanteuse et actrice Ming, les autres handicapés le sont vraiment. Ils appartiennent à une troupe de théâtre et ont l’habitude de jouer. Lorsque la réalisatrice les a sollicité pour son film, ils ont été un peu déçu de voir qu’ils devaient jouer leur propre rôle.
Chez Yolande Moreau, la normalité est teintée d’un grain de folie et le handicap d’une saine énergie. Comme Henri, les hommes sont essorés par la misère économique et culturelle, par un trop plein de bière. Seule Rosette a encore l’envie et la force de changer le cours des choses. Un conte de fée un peu noir qui brouille les certitudes et pose de bonnes questions.
Magali Van Reeth
Signis