Mud, sur les rives du Mississipi

de Jeff Nichols

Etats-Unis, 2012, 2h10

Festival de Cannes 2012, compétition officielle.

Sortie en France le 1 mai 2013.

avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Jacob Lofland, Sam Shepard.

Sur les berges du fleuve mythique, deux adolescents découvrent la complexité des adultes en goûtant à  d’étonnantes aventures et rencontres : mystères, passions et violences sont au rendez-vous.

Pays phare du « nouveau monde », les Etats-Unis ont développé leurs propres mythes, à  partir de la culture européenne, tout en s’en détachant peu à  peu. Parmi les thèmes récurrents, celui du passage de l’enfance à  l’âge adulte a une place prépondérante, sans doute parce qu’il est l’expression même de ce détachement par rapport à  l’ancienne Europe. Depuis Mark Twain, nombreux sont les romans et les films qui traitent de ce sujet.20090463.jpg

Ellis a 14 ans, il vit au bord du fleuve dans une maison en bois, presque similaire à  celles des voisins. Mais son foyer est doublement en danger. D’une part les autorités administratives ont déclaré illégales ces constructions au bord de l’eau, et d’autre part, ses parents se disputent tellement qu’il craint une séparation. Fuyant l’atmosphère lourde de la maison, mais aussi par désir de liberté, Ellis passe ses journées dehors avec son ami Neck et ensemble, ils découvrent le monde. Et Mud, un étranger tombé du ciel, fascinant personnage qui les traitent comme des égaux et leur parle du grand amour de sa vie.

Pour le réalisateur Jeff Nichols, Mud est un hommage à  l’ambiance particulière qu’on trouve encore aujourd’hui au bord du Mississipi. Depuis Mark Twain, la puissance romanesque de ce fleuve, particulièrement calme et sinueux, est profondément ancrée dans la culture américaine. C’est le refuge de la vie sauvage, de l’enfance innocente et de la liberté sans condition, pourvu qu’on sache déjouer tous les dangers de la nature. Les très belles images du film, l’émotion retenue qu’il contient et la fluidité de la mise en scène rendent bien la force sourde du fleuve et l’atmosphère unique de ses berges. Au bord du Mississipi, tout peut arriver, les événements inexplicables comme les mensonges, et la douceur de vivre se mêle inextricablement à  la violence des sentiments. 20514511.jpg

Ellis et Neckbone sont interprétés par Tye Sheridan et Jacob Lofland, deux jeunes acteurs qui leur donnent ce qu’il faut de naturel et de timidité pour camper ces adolescents avides de découvrir les secrets du monde et des adultes. Leur innocence, un temps exploité par Mud, va se heurter à  l’éveil de leur conscience. Mais pour Jeff Nichols, c’est l’amour qui est au centre du film. Cet amour qu’Ellis cherche à  décrypter à  travers les disputes de ses parents, son attirance pour une camarade de classe et les récits brillants et intenses de Mud (Matthew McConaughey, toujours excellent en voyou).

A la fois polar, portrait d’une petite communauté à  l’écart des grands courants de la société et film d’aventures où les protagonistes ont encore l’âge de croire au merveilleux, Mud, sur les rives du Mississipi est un beau film. Son atmosphère particulière imprègne longtemps les spectateurs et laisse ce qu’il faut de mystère pour qu’on s’y attache.

Magali Van Reeth

Signis

Festival Cinémas du sud

Pour la treizième année, l’association lyonnaise Regard Sud organise avec l’Institut Lumière un cycle de projections de films contemporains en provenance du sud de la Méditerranée.

Faisant la part belle aux femmes cinéastes et aux documentaires, ce Festival des cinémas du sud s’ouvrira jeudi 2 mai avec L’Amante du Rif, le nouveau film de Narjiss Nejjar (Maroc). Et c’est la Tunisie, avec Nouri Bouzid, qui viendra présenter son dernier film, Millefeuille, dimanche 5 mai pour clôturer ces rencontres.

Une occasion unique de découvrir des artistes syriens, égyptiens, libanais, algériens, palestiens qui témoignent des mutations récentes de leurs pays.

Toutes les projections ont lieu à  l’Institut Lumière.

Les séances seront présentées et animées par Abdellah Zerguine, directeur artistique de Regard Sud, et Michel Amager, journaliste et critique de cinéma à  RFI.

Le programme complet est disponible dans le site de l’Institut Lumière : http://www.institut-lumiere.org/festival-cinemas-du-sud.html

La Sirga

de William Vega

Colombie/Mexique/France, 2012, 1h34

Festival de Cannes 2012, sélection Quinzaine des réalisateurs.

Sortie en France le 24 avril 2013.

avec Joghis Seydun Arias, Julio Cesar Robles, Floralba Achicanoy, David Guacas, Heraldo Romero.

Avec un film grave et silencieux, remarquablement construit, le jeune réalisateur colombien William Vega dénonce la violence de son pays, tout en affirmant l’importance de l’art comme espérance pour les plus démunis.

Un film envoutant où tout, le lieu, les acteurs, le ton, la qualité de la photo nous font vivre une expérience particulière où ressort l’essence même de notre humanité. La première image nous montre un paysage lacustre, où l’humidité du ciel se reflète dans la surface grise de l’eau et dans la démarche épuisée d’une jeune fille silencieuse. Elle s’effondre dans un froissement d’herbes.La_Sirga-1.jpg

C’est la Colombie, un pays ravagé par les guerres civiles. Les parents d’Alicia sont morts dans le saccage de leur village et elle s’est enfuie à  pieds pour se réfugier chez Don Oscar, un oncle qu’elle connaît à  peine. Il habite une grande maison délabrée au bord de la lagune. C’est un pêcheur, un homme peu loquace que l’arrivé d’Alicia dérange.

La Sirga est le nom de cette bâtisse de bois dont le toit laisse passer le vent et la pluie, dont les plancher s’effondrent et que Don Oscar veut transformer en auberge pour accueillir les touristes. Elle est à  l’image de la Colombie, toujours en réparation, toujours au bord de la ruine, en proie aux violences quotidiennes. Les deux femmes chargées de l’entretenir et de l’embellir ont beau faire et réussir à  lui donner un air pimpant, on sait bien qu’aucun touriste ne viendra par ici.La_Sirga-2.jpg

Le réalisateur William Vega a voulu dénoncer la violence de son pays sans la montrer. La guerre reste un murmure, une inquiétude invisible, une menace constante. Elle est la tristesse d’Alicia et la peur qui la jette hors du lit chaque nuit. Cette guerre si présente est un poids silencieux et oppressant pour tous les habitants de la lagune. Un mystère qui met de la distance entre tous. Ici, on se vouvoie même en famille, on ne se touche pas et la joie est absente.

Pourtant, même noyée sous les pluies incessantes et baignée d’une lueur grise, cette lagune est un lieu étonnant. Non pas désespérant mais chargé d’une énergie qu’on sent prête à  jaillir, quasi spirituelle. Mystérieuse, envoutante. Elle est d’ailleurs le domaine de Gabriel, cet ange gardien sauveur d’Alicia, le seul être capable de rire et de faire des projets d’avenir. Quand il n’est pas entrain de sillonner le lac sur sa barque, pour des courses dont on ne saura rien, il sculpte une petite figurine en bois, qu’il appelle Eva et offre à  Alicia. C’est lui aussi qui sort Alicia de la maison pour une promenade de l’autre côté de la lagune, à  Santa Lucia, un endroit si beau qu’on a « l’impression d’y voir Dieu ». Dans le chaos d’un pays déchiré par les armes, les menaces et la pauvreté, la beauté reste une évasion, une consolation et une espérance.sirga11.jpg

Pour ce premier long-métrage, William Vega a participé au programme d’aide à  la réalisation, Cinéma en construction. Deux fois par an, au Festival de San Sebastian en Espagne et aux Rencontres des cinémas d’Amérique latine de Toulouse en France, des professionnels du cinéma se réunissent pour aider des films, venant du continent sud-américain, en phase de post-production et de distribution. La Sirga a remporté le prix Cinéma en construction à  Toulouse en 2011. Il a ensuite été sélectionné dans plusieurs festivals, dont Cannes à  la Quinzaine des réalisateurs.

Magali Van Reeth

Signis

La Playa

de Juan Andrés Arango

Colombie/France/Brésil, 2012, 1h30.

Festival de Cannes 2012, sélection Un Certain Regard

Sortie en France le 17 avril 2013.

avec Luis Carlos Guevara, James Solis, Andrés Murillo.

Enfant des rues en Colombie, Tomà¡s essaye malgré tout de s’en sortir. Un film sensible pour dire une terrible réalité et un monde en mutation.

On peut tout de suite lever l’ambiguïté du titre espagnol : de cette plage là , on ne verra jamais la mer. La Playa DC est un quartier pauvre de Bogota, en Colombie et les touristes n’y viennent pas. Tomà¡s est un bel adolescent, un peu raide dans son corps, en perdition dans ses journées. Peu à  peu, comme dans les contes de fées européens d’un autre âge, on comprend que son beau-père l’a mis à  la porte de la maison familiale.20086351.jpg

Son errance dans le quartier pour trouver un logement, un repas, un moyen de s’en sortir, est ponctuée de rencontres et c’est tout un autre univers qui vient à  nous. Avec un infini respect pour les protagonistes mais sans masquer la souffrance quotidienne de Tomà¡s et de ses frères, La Playa raconte un quotidien terrible. Pauvreté, drogue, abandon, une jeunesse innocente est sacrifiée dans l’indifférence la plus totale. Tous ceux qu’on croise ont aussi leur survie à  assurer dans cette grande misère collective.

Mais à  travers l’histoire de Tomà¡s et de ses frères, c’est le portrait d’une ville en mutation. Depuis quelques années, la population afro-colombienne, chassée de leur campagne par la guerre civile, afflue massivement vers les grandes villes. Ces descendants d’esclaves se heurtent à  la crise économique et à  l’hostilité des populations blanches. Sans renier sa couleur noire, ni sa famille proche, Tomà¡s va trouver un « presque travail » et un semblant d’avenir. 20502391.jpg

Premier long métrage de Juan Andrés Arango, La Playa est un très beau film, aux images soignées. La gamme chromatique, mêlant les tons bleu et noir, donne une atmosphère à  la fois douce et amère à  cette histoire. Les trois acteurs qui interprètent les trois frères, à  la fois très différents mais unis par la même détresse, sont justes et très à  l’aise dans leur rôle. Notamment Luis Carlos Guevara qui sait donner au personnage de Tomà¡s une grande détermination sous une apparente timidité. Enfin, en tant que spectateur, on est sensible au léger rayon d’espoir qui apparaît à  la fin du film.

Magali Van Reeth

Signis

Regards de photographes-artistes contemporains au couvent de la Tourette

Philippe Chancel ; Franck Christen ; Stéphane Couturier ; Marie-Noëlle Décoret ; François Diot ; George Dupin ; Pascal Hausherr ;
Jacqueline Salmon.
Du samedi 13 avril à  fin juillet 2013

A l’occasion de l’achèvement
du chantier de restauration du couvent de La Tourette, qui aura duré six ans, une exposition de photographies est organisée.
Cette exposition associe un certain nombre de regards de photographes-artistes qui depuis quelques années ont invités par
les frères dominicains en résidence à  La Tourette.
A travers leurs photographies ils renouvellent notre regard sur l’
architecture du couvent et montrent toute la richesse que recèlent les lieux.
Ils témoignent à  leur manière de la fascination que le couvent continue d’exercer. Outre des photographies d’ archives présentées pour la première fois, un ensemble de photographies, réalisées au cours de ces dernières années par chacun de ces artistes, sera exposé
au sein même du couvent.

Découvrir quelques oeuvres…

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La Belle endormie

de Marco Bellocchio

Italie/France, 2012, 1h50

Festival de Venise 2012.

Sortie en France le 10 avril 2013.

avec Alba Rochwacher, Isabelle Huppert, Toni Servillo.

Une décision de justice sur la fin de vie enflamme la vie politique d’un pays. Ce film de Marco Bellocchio, par les chemins détournés de la fiction, élargi notre propre réflexion.

Novembre 2008 : la justice italienne autorise le père d’Eluana Englaro, dans le coma depuis 17 ans, a interrompre l’alimentation artificielle qui la maintient en vie. Les catholiques ultra conservateurs vont aussitôt manifester contre cette décision, ce qui va permettre aux partisans d’une évolution plus libérale et plus actuelle de la société de prendre eux aussi part à  ce débat. Médias, petits groupes politiques extrémistes, élus et hommes d’Eglise, chacun prend la parole dans une belle cacophonie. Si l’idée de départ du nouveau film de Marco Bellocchio est précise et bien documentée, la force de son film va bien au-delà  de l’événement. Certes, le débat sur la fin de vie est bien au centre de La Belle endormie mais sa mise en fiction permet au spectateur de mieux cerner la part émotionnelle et irrationnelle de chaque individu.20189330.jpg

Le film s’ouvre avec Maria, jeune militante catholique manifestant par la prière publique contre cette décision de justice et Roberto, beau jeune homme qui manifeste dans le camp adverse, encombré d’un frère ingérable. On verra aussi Uliano, homme politique sincèrement perplexe quand à  la prise de position de son propre parti, une jeune femme toxicomane voulant mettre fin à  ses jours, et une mère dévouée jusqu’à  la folie auprès de sa fille transformée en Belle au bois dormant. A travers les motivations de chacun de ses personnages, La Belle endormie questionne les raisons profondes de notre empathie et de nos choix.

Le débat autour de la mort clinique et de la mort réelle, celui sur la fin de vie est, pour Marco Bellocchio, un débat sur le sens de la vie. Les personnages sont tour à  tour des endormis, refusant de voir l’évidence puis se transforment en héros des temps modernes, voulant sauver l’Autre. Mais comment et pourquoi sauver l’Autre ? Un sénateur, au moment de voter une loi, et même en se donnant le temps de la réflexion, ne peut éliminer ses propres souvenirs. Une mère peut étouffer son enfant par trop de dévotion ou par manque d’attention. Et un acte irraisonné, spontané, peut changer le cours d’une vie.20199381.jpg

En partant d’un débat de société et en poussant la fiction jusqu’au conte de fées – révélateur de nos pulsions les plus primaires – Marco Bellocchio montre l’importance du vécu et de l’inconscient dans nos prises de position politiques. La Belle endormie, en croisant des personnages très différents, montre la complexité du débat et donne aux spectateurs un recul nécessaire et bienvenu.

Magali Van Reeth

Signis

DOUZE HOMMES EN COLERE POUR UN PUBLIC RAVI

Douze hommes en colère…

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Par la Compagnie Théâtre 343, qui a eu l’excellente idée de présenter cette pièce, au moment même où dans la ville, et singulièrement à  l’Opéra, on parle de justice
Cette œuvre théâtrale, écrite par Reginald Rose( 1953)et qui fut reprise au cinéma quelques années plus tard avec Henri Fonda, et adaptée et traduite en français par André Obey, est connue. Elle fut en 1971 présentée par Pierre Sabbagh au « Théâtre ce soir »,et cela n’est pas sans intérêt ,car elle eut beaucoup de succès et montre une fois de plus que le théâtre est très attractif, lorsqu’il présente accessible à  tous ,une pièce centrée sur une problème humain :la peine de mort ,et la responsabilité des jurés ,lorsqu’une intrigue dramatique maintient l’attention, lorsque le texte est limpide , bien traduit, non dénué d’humour ,et qu’il révèle les caractères de chacun des protagonistes .Le thème de ce huis clos sans décor, tenu par l’unité de temps ,de lieu et d’action est simple :12 jurés sont amenés à  se prononcer sur la culpabilité d’un gamin de 16 ans qui est accusé d’avoir tué son père
La troupe (Théâtre 343) ,mise en scène, par Carine Lefort troupe dont on perçoit la cohésion, a féminisé en partie le jury, sans que cela modifie la portée de la pièce, au contraire elle la rend plus actuelle. Le casting des douze acteurs ,est ,ainsi, particulièrement judicieux ,car ils sont tous excellents ,de façon homogène ,donnant à  l’ensemble une impression de grande vraisemblance, à  travers l’illusion du théâtre. Une très belle performance ,pour un prix accessible , 12 à  15 euros, dans un lieu qui mérite d’être connu(Acte 2 Théâtre),avec des sièges confortables,et avec un spectacle servi par douze très bons comédiens, ce que le théâtre professionnel peut rarement s’offrir.

Allez y du 18 au 21 avril, ou du 25 au 28 avril ,à  20 h, sauf le dimanche à  18h,32 bis Quai Arloing 69009, métro Valmy.

en savoir plus : [->http://www.theatre343.fr/ACCUEIL.html]

Jésus porté disparu

Jésus porté disparu, une pièce de théâtre à  ne pas manquer !

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Le réseau Chrétiens en Grande École, en lien avec la Paroisse de Gerland, vous propose de découvrir (ou redécouvrir) cette pièce écrite et jouée à  l’occasion de la Rencontre Nationale Chrétiens en Grande École 2011 puis rejouée plusieurs fois à  Lyon, dans d’autres diocèses de France et aux JMJ de Madrid.

dimanche 14 avril à  16 heures
salle Camille Néel, à  N.-D. des Anges, 37 rue Félix Brun, Lyon 7e (métro B – place Jean Jaurès).
Entrée libre – tout public

Le scénario :

érusalem. An 33.

Avis : le corps d’un condamné à  mort a disparu.

La section criminelle du FBI envoie Jack Malone enquêter sur les lieux du meurtre. Sherlock Holmes est là  pour l’épauler de son expertise scientifique tandis que Rouletabille, journaliste à  scandales tente de résoudre l’énigme avant eux.

Leur enquête les mènera de New York à  Jérusalem, en passant par l’Angleterre médiévale et la France mérovingienne. Mais leur permettra-t-elle de comprendre le mystère qui entoure cet homme ?

11.6

de Philippe Godeau

France/Belgique, 2012, 1h42

Sortie en France le 3 avril 2013.

avec François Cluzet, Bouli Lanners, Corinne Masiero.

Un voleur très ordinaire pour le casse du siècle et un film surprenant qui enlève tout le rocambolesque du genre pour se concentrer sur le mystère du personnage et ses motivations.

A Lyon, en novembre 2009, Tony Musulin, convoyeur de fonds depuis des années et salarié sans histoire, part un jour avec le chargement qu’il est censé protéger. Un vol sensationnel, sans un seul coup de feu, sans aucune violence. Une somme d’argent énorme, qu’il rendra presque intégralement quelques temps plus tard. Un mystère que la police n’a pas encore élucidé. L’homme est encore en prison pour quelques mois. Cette affaire fortement mystérieuse et romanesque, après avoir fascinée les médias pendant de longues semaines, se retrouve logiquement au cinéma. On pouvait craindre le pire, comme souvent quand il s’agit d’histoires vraies, basées « sur des faits réels » mais 11.6 est une belle réussite qui surprendra de nombreux cinéphiles. 116_12.jpg

Le ton adopté par le réalisateur Philippe Godeau va à  l’encontre des clichés habituels en cas de cambriolage rocambolesque. Loin du grand spectacle, 11.6 s’interroge sur les motivations du personnage. Que penser d’un homme qui va tous les jours travailler en vélo et qui un jour achète une Ferrari ? Que penser d’un homme, toujours à  l’heure au travail, apprécié par ses chefs, qui un jour part avec l’argent qu’il est chargé de convoyer d’une banque à  l’autre ? Pas un petit montant, 11.6 millions d’euros. Un homme mutique, qui ne donne aucune explication lors de son procès mais des fausses pistes pleine d’humour. Et laisse une ardoise de 2 millions lorsqu’il se rend.116_17.jpg

Philippe Godeau : « Il ne s’agissait pas d’une reconstitution. Il fallait prendre nos distances et réinventer le réel. Par exemple, nous avons appris que Toni Musulin s’était violemment disputé avec son co-équipier peu de temps avant le casse Nous avons supposé que cette brouille avait été provoquée par Musulin pour protéger son ami. Comme la séparation avec sa compagne. Nous n’en avons pas de certitude. C’est une hypothèse de fiction. Mais parfois, plus on s’éloigne, plus c’est fidèle. C’est un processus étrange : on est nourri, imbibé du réel puis l’histoire se développe, avec sa part de fiction et vient un moment où on ne fait plus la différence. À force de fixer son regard sur un objet, il arrive qu’une logique mystérieuse s’ouvre à  vous. Celle des paradoxes et contradictions d’une existence. »20484312.jpg

Le réalisateur donne donc des pistes pour comprendre les motivations de Toni Musulin, notamment en développant le contexte social. Celui d’une époque, celle de la crise financière où les banques sont devenues « méchantes », les patrons forcément cupides et l’héroïsme surtout virtuel. Voler une banque maintenant qu’on connaît leurs responsabilités dans la détérioration de notre quotidien, est-ce encore un mal ? Le personnage de Toni Musulin est un salarié ordinaire, pas forcément humilié par ses chefs mais pas vraiment reconnu autant qu’il le voudrait. Un homme de la « France d’en bas » qui méprise ses semblables mais protège le souffre douleur de sa boîte. Un homme avide de reconnaissance mais pas assez cultivé pour la chercher ailleurs que dans les grosses voitures rouges. Un homme aux mâchoires serrées, à  qui on n’a pas appris la tendresse et qui donc la refuse.

Bien sûr, la réussite du film, c’est aussi François Cluzet, dont la force de jeu est impressionnante. Que ce soit dans Les Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache ou dans A l’origine de Xavier Giannoli, ses interprétations sont justes et brillantes. Dans la comédie comme dans le drame, il excelle à  faire passer des émotions complexes et fines sans passer par les mots. Philippe Godeau avait déjà  tourné avec lui dans Un Dernier pour la route (2009), histoire d’un alcoolique en cure de désintoxication. En compagnie de Corinne Masiero et de Bouli Lanners, François Cluzet arrive à  donner à  ce Toni Musulin là  ce qu’il faut de charme et de mystère pour le rendre intéressant sans toutefois en faire un personnage aimable. Dans cette ambigà¼ité repose la force du film.116_09.jpg

Polar à  la marge de ce genre cinématographique, il est tourné à  Lyon, et à  la marge de cette agglomération, dans ses quartiers en construction. Une ville en chantier, en devenir, débordant sur le fleuve et la confluence où se mêlent les élans d’autrefois et les désirs d’avenir. A l’image de ce film sans dénouement classique mais fascinant par la façon dont il assume ses partis-pris.

Magali Van Reeth

Signis