Melancholia

de Lars von Trier

Danemark/Suède/France, 2h10, 2011.

Sélection officielle Festival de Cannes 2011, prix d’interprétation féminine pour Kristen Dunst.

Sortie en France le 10 août 2011.

avec John Hurt, Kristen Dunst et Charlotte Gainsbourg

Après une introduction époustouflante, le film marche lentement vers une apocalypse abordée par le beau et l’apaisement. Surprenante et déroutante, pour un film un peu vain…

Lars von Trier est un réalisateur déroutant ! Autrefois promoteur du Dogma, manifeste pour une façon de filmer brute et naturelle (unité de lieu, de temps, pas de musique, pas de lumière artificielle), le réalisateur danois a exploré les possibilités de la comédie musicale avec Dancer in the Dark (2000), l’absence de décor dans Dogville (2003), la cruauté comme déclinaison des beaux-arts avec Antichrist (2009). L’outrance et la provocation accompagnent chacune des interventions de cet artiste qui se dit dépressif et associal. Il construit une œuvre unique qui pousse le cinéma vers l’exploration des failles du monde contemporain et une recherche formelle très exigeante.melan3.jpg

Melancholia peut se ranger dans la catégorie des films du genre « apocalypse ». Une planète inconnue menace la Terre. Y aura-t-il ou non collision, fin du monde ? Faut-il avoir peur, se préparer ? Deux sœurs. Claire est brune (on sent déjà  que le réalisateur est facétieux jusque dans ces détails), directe, responsable, sans artifice et elle est interprétée par Charlotte Gainsbourg. Justine est blonde, lumineuse, fantasque, et c’est l’angélique Krsiten Dunst. Deux sœurs de nature et de tempérament différents, qui s’aiment mais ont du mal à  s’entendre, comme ces deux planètes qui s’attirent pour, peut être, se détruire mutuellement.

Melancholia est un film d’apocalypse, mais une apocalypse lumineuse, apaisée. On ne verra pas de scène de panique collective, pas de cris, pas de vulgarité. Lars von Trier prend le parti de la beauté, du songe. La planète qui s’approche est une magnifique boule aux couleurs délicates, elle est somptueuse. Elle met des pétales de neige sur les jardins d’été, des reflets chatoyants sur les couchers de soleil. Comment peut-on redouter ce qui est si beau ?melan4.jpg

Le réalisateur ne lésine pas sur les effets, les costumes, les décors : château de conte de fées au bord d’un lac, immenses pelouses caressant les pieds nus des enfants au visage d’elfe, chevaux puissants, femmes étourdissantes, vêtements élégants : tout est luxe, calme et volupté dans ce monde qui risque de disparaître. Mais que veut nous dire Lars von Trier ?

Au-delà  de la beauté éblouissante de certains plans et de l’éventuel choc des planètes, on ne sait que faire de ces personnages qui s’opposent, paniquent soudain, se séparent sans qu’on comprenne bien pourquoi. Presque tous les personnages de la première partie disparaissent, sans que la seconde partie n’explique pourquoi ils avaient été campés avec tant d’insistance. Le mystère est ici confusion et on sort plutôt déçu de ce film aux images étonnantes.

Magali Van Reeth

Signis

Super 8

de J.J. Abrams

Etats-Unis, 1h50, 2011.

Sortie en France le 3 août 2011.

avec Joel Courtney, Kyle Chandler, Elle Fanning.

L’épouvante, les monstres et la fin de notre monde sont un genre très prisé au cinéma. Mais la pire des catastrophes reste toujours la perte d’un être cher et les cauchemars imaginaires ne sont pas aussi effrayants que la réalité du deuil.

En 1979, dans une petite ville de l’Ohio, un groupe de collégiens essaye de tourner un film, avec une petite caméra super 8, pour participer à  un concours. Ils ont 12 ou 13 ans, rusent avec les interdits des parents, les vacances scolaires et le bricolage maison pour fabriquer leurs décors. C’est la mode des zombies et ils font des efforts désespérés pour les rendre effrayants. Lors d’un tournage de nuit dans une gare désaffectée, ils sont témoins d’un accident de train qui bouleverse la vie tranquille de la bourgade et de ses habitants.

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Film catastrophe par l’ampleur du déraillement et des explosions qui vont suivre, film de science-fiction où on évoque un être venu d’ailleurs, film d’épouvante parce qu’un danger inconnu menace la vie de ce groupe d’enfants, Super 8 utilise tous les codes de ces films pour adolescents. Ce film est séduisant parce qu’à  travers les tas de ferraille qui s’entrechoquent, le feu ravageur, les créatures anormalement fortes et visqueuses, Super 8 parle au spectateur de la véritable « épouvante » de toute enfance, de la « catastrophe » de la mort, du « monstre » qu’il faut apprivoiser : le manque de ceux qui sont partis à  jamais. La fin du monde et l’entrée dans l’inconnu commencent avec la mort de la mère.

Les aventures du jeune Joe, dans ce monde en chaos, ne lésinent pas sur les effets spéciaux et Super 8 peut aussi se voir comme un énième film de genre. Plutôt gentil d’ailleurs, les militaires américains qui « jouent » les méchants évoquant plus les soldats en plastique que les infos du soir à  la télé. Il y a des pointes d’humour pour détendre l’atmosphère et on nous laisse le temps de s’habituer au monstre. La véritable angoisse étant bien celle de la mort et la douleur celle de l’absence.

Si on regarde le film avec un peu de distance, on voit bien que le monstre qui surgit après l’accident est une métaphore du deuil. Le deuil est terrible, c’est un gouffre dont on ne trouve pas la sortie et on a peur de s’y perdre. Il mange ceux qui nous entourent, rien ne le fait vaciller et le combat pour l’amadouer est long et épuisant.

Les films tournés en « Super 8 » avant l’avènement de la vidéo ont donné un grain particulier aux souvenirs d’enfance de toute une génération, celle qui a grandi juste avant internet et les téléphones portables. L’un des charmes du film est aussi ce retour en arrière, à  cette adolescence insouciante, ce temps où les monstres du chagrin n’avaient pas encore envahi nos vies d’adultes.

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Super 8 n’est pas un chef d’œuvre mais il relève nettement le niveau des films proposés aux adolescents pendant les vacances scolaires. A partir de 12 ans, n’hésitez pas à  les accompagner

Magali Van Reeth

Signis

Lourdes

de Jessica Hausner

Autriche/France/Allemagne, 1h39, 2009.

Sélection officielle Mostra de Venise 2009, prix Signis et prix Fipresci.

sortie France 27 juillet 2011.

avec Sylvie Testud, Bruno Todeschini, Elina Là¶wesohn.

Pourquoi lui et pas moi ? Dans l’ambiance particulière du sanctuaire de Lourdes, où la grâce de Dieu reste un mystère, le film questionne en images les réactions ordinaires de ceux qui cherchent des signes.

Christine est une jeune femme handicapée par une sclérose en plaques qui l’immobilise dans un fauteuil roulant. Ayant déjà  participé à  un pèlerinage à  Rome organisé par l’Ordre de Malte, elle rempile pour Lourdes. Elle n’est pas particulièrement croyante mais elle a vite compris que les pèlerinages et les associations religieuses étaient les seuls endroits où on s’occupait vraiment des handicapés. Elle arrive donc dans ce lieu particulièrement cher aux catholiques sans attente particulière, plutôt en touriste qu’en pèlerin.
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Jessica Hausner, jeune réalisatrice autrichienne talentueuse, pose un regard très lucide sur le sanctuaire de Lourdes et ceux qu’on y croise. Le film a été tourné en accord avec les responsables du lieu. Il montre ce qu’on connaît de Lourdes, le recueillement des pèlerins devant la grotte, les longues processions cosmopolites, les messes en plein air, les magasins de souvenirs débordant de plastique, les prières les plus humbles, les handicapés à  la piscine, les milliers de cierges. Tout ce qu’on connaît de Lourdes, on le retrouve magnifié par la caméra de Jessica Haussner qui rend bien l’émotion et le trouble de ce lieu unique.

Mais Lourdes est un vrai film et un film excellent parce qu’il met de la fiction dans cet univers archi-connu. Alternant les véritables scènes de foule et l’intimé d’un drame personnel, la réalisatrice montre la grandeur et la puissance de Dieu face à  la mesquinerie des croyants. Car il y aura bien un signe de Dieu, un être touché par l’inexplicable. Mais face à  cette grâce, tous ne réagissent pas de même façon. Si certains sont dans la joie sincère, d’autres sont dans l’interrogation, voir même la colère : « Pourquoi lui et pas moi ? »

Sylvie Testud interprète avec finesse la fragilité et l’innocence du personnage principal. N’ayant pas d’attente précise, elle reçoit naturellement tout ce que ce séjour lui offre. La distribution très internationale des autres acteurs, participe à  rehausser l’ambiance cosmopolite de ce lieu particulier.

Tourné avec une grande maîtrise technique et un véritable élan artistique, Jessica Hausner n’a pas tourné un film religieux mais s’interroge avec finesse sur nos comportements humains. Ce faisant, elle nous met, nous les croyants, devant nos contradictions et nous rappelle de façon fulgurante tout le mystère et la complexité du miracle. Lourdes est avant tout l’histoire d’une libération que nous ne sommes pas tous à  même d’accepter !

Au Festival du film de Venise 2009, ce film a obtenu le prix Signis et le prix Fipresci (presse internationale).

« Le jury Signis est heureux de décerner son prix à  Jessica Haussner pour son film Lourdes. Non parce qu’il se déroule dans un lieu, par essence, catholique mais parce qu’il soulève des questions qui sont, par essence, celles de tout être humain : la foi, la souffrance physique, l’espérance, les miracles et l’inexplicable. Avec une remarquable maîtrise technique et artistique, la réalisatrice nous amène aux confins de nos attentes humaines, laissant les spectateurs découvrir par eux mêmes la liberté humaine et l’intervention divine. »

Magali Van Reeth

Signis

Pater

d’Alain Cavalier

Sélection officielle Festival de Cannes 2011.

France, 1h45, 2011.

Sortie en France le 22 juin 2011.

avec Vincent Lindon, Alain Cavalier.

Un réalisateur et un comédien s’amusent à  être le président de la république et son premier ministre. Un film hors norme et attachant où la liberté de ton reste élégante et les images émouvantes.

Incroyable ! C’est le premier mot qui vient à  l’esprit du spectateur en entrant de ce film si particulier. Alain Cavalier est un cinéaste confirmé : Thérèse (1986), Libera me (1993) ont été primé dans de nombreux festivals et ont trouvé un public. Depuis plusieurs années, Alain Cavalier explore avec enthousiasme les possibilités techniques des caméras, toujours plus légères et performantes et fait des films plus intimistes : Le Filmeur (2005), Irène (2009). Films sans acteur et à  la limite de l’autobiographie : le talent du réalisateur permettant d’échapper au nombrilisme. Vincent Lindon est un acteur populaire en France, qui choisit avec soin les films dans lesquels il tourne, évitant les grosses comédies poisseuses. Ses participations dans Fred de Michel Jolivet, Chaos de Coline Serreau, Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé ou Welcome de Philippe Lioret ont fait de lui un personnage respecté.pater2.jpg

Deux personnalités attachantes qui se sont trouvées pour « jouer », c’est leur métier ! mais jouer vraiment, comme des enfants jouent aux cowboys et aux indiens. Ici, Alain Cavalier fait le président et Vincent Lindon son premier ministre. Ils s’habillent comme les gouvernants, choisissant avec soin le tissu des chemises et la couleur de la cravate, conscients que si l’habit ne fait pas le moine, il aide largement à  endosser un rôle

Sans cesse, les protagonistes du film traversent la frontière entre fiction et réalité. On ne sait pas toujours si les colères de Lindon sont réalité ou exercice. Il garde tout au long du film un petit air de désarroi qui va bien à  un homme politique ligoté devant les charges du pouvoir, mais aussi à  un acteur face à  un metteur en scène qu’il admire et dont il ne comprend pas le cheminement. Alain Cavalier est séduisant en homme qui soigne son apparence, en président aussi affable qu’autoritaire, en père de famille face à  un fils qui lui survivra un jour.

Pater étant le titre du film, on ne peut évacuer les rapports père/fils qu’on entrevoit hors champs. Relation librement consentie entre un réalisateur, qui ne voulait plus tourner avec des acteurs, et un acteur qui admire avec tendresse, et une pointe de jalousie, cet homme libéré des contraintes professionnelles grâce à  la technique. Libéré aussi de quelques angoisses existentielles, notamment à  l’aide de la religion, qui lui fait envisager la mort comme une libération des lourdeurs de la vie.pater3.jpg

Cette liberté de ton, si séduisante, est accompagnée d’un soin apporté aux images. Les plans, même lorsqu’ils montrent des objets, des gestes et des situations ordinaires, sont touchants, jolis et lumineux. Ils évoquent le cinéma, la vie, l’affection et la douleur. Une utopie se construit sous nos yeux, utopie d’artistes et d’hommes de leur temps.

Magali Van Reeth

Signis